LE FEDERALISTE

revue de politique

Espérer le maintien de l’harmonie entre plusieurs Etats indépendants et voisins, ce serait perdre de vue le cours uniforme des événements humains et aller contre l’experience des siécles.

Hamilton, The Federalist

 

V année, 1963, Numéro 1, Page 72

 

 

WEGE UND IRRWEGE*
 
 
Il est important pour Le Fédéraliste de rendre compte ici du nouveau livre de Hans Kohn.[1] Ce travail, qui est celui de sa vie pour le célèbre auteur, correspond en effet à une diffusion d’idées semblables à celles dont cette revue prend la défense. L’auteur est sans conteste un classique dans la recherche des phénomènes nation et nationalisme, phénomènes qu’il a rencontrés dès sa jeunesse et dans sa ville natale de Prague, champ de bataille de deux nations : lorsque l’Etat polyethnique des Habsbourg résonnait du vacarme confus des conflits nationaux. Ils se présentèrent aussi à notre auteur au-delà des frontières de son pays, en empreintes toujours nouvelles, dans une période de guerres mondiales, jusqu’à ce que les tribulations de sa vie, en vertu d’une logique interne, fissent enfin trouver à cet errant, avide d’assimilation, une nouvelle patrie aux Etats-Unis. C’est de là que ce grand voyageur, virtuose de l’amitié et de la connaissance des hommes, sut conserver vivantes ses anciennes relations dans tout le domaine du monde libre : au grand avantage de la production de sa plume infatigable.
Son nouvel ouvrage ne doit pas être pris comme une description, savante et structurée de l’esprit bourgeois en Allemagne, mais plutôt comme un ensemble sans liaison d’essais, qui pourtant s’enchaînent grâce à la manière approfondie dont les questions sont posées. Comment un peuple de grande civilisation comme le peuple allemand a-t-il pu, au 19e et au 20e siècle, se séparer ainsi spirituellement des peuples occidentaux ? On ne peut naturellement pas répondre à cette question sur la seule base de l’historie des idées. C’est bien plus l’ivresse de puissance politique, caractéristique de l’Allemagne après 1870 et qui l’opposa aux peuples occidentaux, qui a contribué essentiellement à durcir son particularisme intellectuel : ce qui s’annonçait déjà distinctement, à l’époque antérieure, nostalgique d’unité et de puissance politique. Une victoire des tendances libérales et démocratiques sur les méthodes de puissance de la vieille Prusse aurait-elle réellement garanti une direction si foncièrement différente dans l’évolution, et adouci d’une manière décisive la prise de position vis-à-vis de l’Ouest ? Comment connaître l’alternative ? Une Allemagne révolutionnaire aurait peut-être d’abord, tout à fait dans le sens jacobin, déchaîné le nationalisme par son combat, ce nationalisme que le Reich de Bismarck jugulait encore. Elle aurait pu, bien avant, prendre le chemin de la démocratie de masse et du césarisme autoritaire qui se sont fait jour, plus tard, avec Hitler. C’est peut-être le sentiment de puissance de la plus forte nation du vieux continent qui, une fois éveillé, l’a incitée à combattre, sous une forme quelconque, les nations de l’Ouest plus favorisées par le destin. Mais nous ne voulons pas chicaner l’auteur sur des supputations aussi douteuses, mais plutôt nous réjouir de chacun de ces essais qui, remplis d’ardeur et de l’engagement le plus personnel, ne peuvent laisser le lecteur indifférent. Caractéristique de la culture spirituelle de son auteur est le fait qu’il fasse si largement appel à la poésie : Goethe, Novalis, les frères Schlegel, Arndt, Heine, d’une manière très pénétrante, puis Richard Wagner et Nietzsche, enfin Rilke, George, Hofmannsthal, Thomas Mann, Ernst Jünger et beaucoup d’autres. Ainsi se développent ici diverses contributions au problème allemand, contributions que seul un auteur profondément enraciné dans notre génie pouvait écrire d’une manière si intuitive ; un auteur qui est pourtant aussi, compte tenu de sa « distance » américaine, un critique d’expérience mondiale. Et cette critique a beau être aiguë : elle n’en est pas amère pour cela. Elle est constructive et non destructive. Elle conduit à cette constatation féconde qu’aucun peuple n’est militariste ou agressif de nature, que même le peuple allemand peut changer, ou a déjà changé, avec les circonstances. C’est la nature profonde de l’auteur, riche de joie, d’espoir et de bienveillance, qui le prédestinait à être le pionnier et le propagandiste des idéaux supranationaux.
 
Ludwig Dehio


* Tout en n’étant pas d’accord, sur certains points, avec l’évaluation qu’il donne de l’œuvre de Hans Kohn, sur laquelle nous reviendrons prochainement, nous remercions le prof. Ludwig Dehio de nous avoir envoyé cette présentation du nouveau volume de Hans Kohn, Wege und Irrwege.
Ludwig Dehio, dont nous nous avons publié récemment (IVe année, n. 2, p. 162) l’essai intitulé « La continuité de l’histoire germano-prussienne de 1640 à 1945 », est l’auteur d’une étude fondamentale sur l’histoire du système européen des Etats, traduite en français sous le titre « Equilibre ou Hégémonie » (Editions du Seuil, 1958).
[1] Hans Kohn, Wege und Irrwege vom Geist des deutschen Bürgertum, 1962, Düsseldorf, Droste-Verlag.

 

 

 

 

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