LE FEDERALISTE

revue de politique

Espérer le maintien de l’harmonie entre plusieurs Etats indépendants et voisins, ce serait perdre de vue le cours uniforme des événements humains et aller contre l’experience des siécles.

Hamilton, The Federalist

 

XVI année, 1974, Numéro unique, Page 3

 

 

La crise du système monétaire international et le problème de la monnaie européenne
 
DARIO VELO
 
 
1. — Le système actuel des paiements internationaux correspond à un stade du processus commencé aussitôt après la fin de la première guerre mondiale, par l’abandon de l’étalon-or, et qui consiste dans la tentative de construire un nouvel ordre monétaire.
Pour mieux comprendre les caractéristiques du système monétaire international actuel, il peut être opportun de se référer, même brièvement, aux choix cruciaux faits par les Etats dans les moments décisifs de l’histoire monétaire moderne. A cette fin, le point de repère initial de l’analyse peut être constitué par les négociations de Bretton-Woods, menées en juillet 1944 par les représentants d’une quarantaine de pays alliés et d’où sortit un plan qui devait forger l’ordre monétaire international de l’après-guerre.[1]
2. — Les économistes et les hommes politiques se trouvèrent, tandis que la seconde guerre mondiale approchait de sa conclusion, engagés à reconstruire le système monétaire international. L’expérience vécue entre les deux guerres mondiales avait définitivement prouvé l’impossibilité de faire revivre l’étalon-or ; en outre, la diffusion de techniques dirigistes de contrôle du commerce international et des changes, pratiquées dans les années trente et consolidées pendant les années de guerre, fit si bien que la construction d’un nouvel ordre monétaire international exigea de mettre en question une très longue série d’intérêts nationaux établis, fondés sur l’existence d’accords bilatéraux.
C’est dans ces circonstances qu’il parut donc évident que la reconstitution d’un ordre monétaire international était conditionnée par une adhésion simultanée au projet de réforme de la part de tous les principaux pays importateurs et exportateurs ; l’abandon unilatéral des pratiques dirigistes se serait traduit pour n’importe quel pays par une réduction drastique de ses exportations et, corrélativement, de ses importations. Dans une situation où la quasi-totalité des Etats ne disposaient pas de réserves en or ou en devises appréciées, d’un montant suffisant pour financer leur commerce international, l’interruption unilatérale des rapports préférentiels aurait réduit la capacité d’exportation du pays à la mesure des disponibilités du reste du monde en monnaie de ce pays, c’est-à-dire à la mesure des importations et d’éventuels transferts financiers du pays en question : en d’autres termes, cela aurait signifié la régression du commerce international au niveau d’une activité primitive de troc.
C’est avec la conscience précise de cette réalité que la reconstruction d’un ordre monétaire international fut poursuivie par conséquent par des négociations internationales visant à trouver un accord entre tous les pays économiquement les plus développés.[2] Les pourparlers, commencés avant même la fin de la guerre mondiale, se polarisèrent essentiellement sur l’alternative entre deux plans : d’une part, le « plan Keynes », soutenu par le gouvernement britannique, d’autre part, le « plan White », soutenu par le gouvernement américain. La confrontation de ces deux plans constitua l’objet spécifique de la conférence tenue à Bretton-Woods.[3]
3. — Le plan Keynes[4] peut être considéré, à juste titre, comme le projet le plus ambitieux et le plus génial qui ait été formulé dans la période envisagée pour la reconstruction d’un ordre monétaire international. Son importance ne se limite pas à la tentative de résoudre les problèmes monétaires contingents de l’immédiat après-guerre ; dans la mesure où l’analyse de Keynes cherche à fournir une solution organique et définitive aux problèmes posés par les paiements internationaux, elle sera reprise chaque fois qu’une crise du système monétaire international reposera le problème de sa réforme, et les propositions avancées par Keynes en 1943 seront la base sur laquelle se fonderont de nombreux projets de réforme du système monétaire international dans les quinze dernières années.
Les préoccupations fondamentales retenues par Keynes dans la formulation de son plan sont essentiellement au nombre de deux. En premier lieu, avec son plan, Keynes prend une initiative de rupture, afin d’éviter la consolidation des accords bilatéraux comme base des rapports monétaires internationaux ; un système de paiements internationaux fondé sur des accords bilatéraux aurait empêché l’expansion du commerce international sur une base multilatérale et, par conséquent, aurait été la cause d’une allocation antiéconomique des ressources, du point de vue de la communauté internationale et de chacun des pays qui la composent. En second lieu, Keynes est conscient des effets déflationnistes des mécanismes d’ajustement des balances des paiements qui jouent en régime d’étalon-or ; en formulant son plan, il se préoccupe, par conséquent, de prévoir la création de liquidités internationales en quantité suffisante pour financer l’expansion du commerce international.[5] De la sorte, le plan Keynes rend pensable un développement économique au niveau international qui ne soit pas ralenti, ni empêché, par l’apparition de phénomènes déflationnistes imputables au fonctionnement du système monétaire international.
Pour atteindre ces buts, le plan proposé par le grand économiste anglais prévoyait avant tout la création d’une clearing union qui compensât sur une base multilatérale les rapports de crédit et de dette existant entre les Etats participant à l’union. Les transactions internationales auraient continué d’aboutir aux banques, aux agents économiques privés, aux autorités monétaires nationales ; la tâche spécifique de la clearing union aurait été la compensation des soldes positifs et négatifs entre les banques centrales.[6]
En ce qui concerne ces opérations de compensation, toutefois, l’aspect novateur le plus révolutionnaire du plan Keynes était constitué par sa prévision de la création d’un nouveau moyen de paiement international, le bancor, en lequel auraient été exprimés les rapports de créance et de dette de chacun des Etats envers la clearing union. Un pays débiteur, membre de l’union, aurait pu régler ses soldes négatifs à l’égard des autres pays membres par un transfert de bancor de son compte ouvert à la clearing union au compte des pays créditeurs. Cela pouvait avoir lieu dans la mesure où tous les pays adhérant à l’union s’engageaient à accepter sans limite ces bancor en paiement de leurs soldes positifs ; un contrepartie, chaque pays avait droit à l’attribution d’un quota de bancor, d’un montant proportionnel à sa participation au commerce international.
Le plan Keynes prévoyait en outre que la clearing union serait en mesure de financer les déficits des pays membres. Keynes en effet prévoyait que les pays européens, pour mettre en route le processus de reconstruction, à la fin de la guerre, devraient encourir de graves déficits de leurs balances des paiements ; cette nécessité, toutefois, devait être rapprochée de la quasi-annulation pendant le conflit des réserves d’or et de devises appréciées des pays européens : dans cette situation, pur conjurer le péril d’une déflation mondiale, l’union devrait donc être en mesure d’accorder de larges financements aux pays en déficit, dans l’intérêt de la communauté internationale. La nécessité d’éviter le danger contraire du développement d’une spirale inflationniste était aussi présente à l’esprit de Keynes, dans la mesure où la clearing union avait le pouvoir de réduire ou d’élargir, discrétionnairement, le volume global des crédits accordés, pour éviter la manifestation d’une liquidité excessive ou d’une situation d’illiquidité, se dérobant ainsi à toute règle de création de la liquidité internationale de type mécaniste.[7]
De cette façon, le plan Keynes attribuait des pouvoirs extrêmement étendus à la clearing union, mise en état de contrôler la liquidité internationale et, par conséquent, d’influer sur le développement économique des pays opérant sur le marché international.
L’argumentation sur la base de laquelle était soutenue la nécessité de déléguer d’aussi vastes pouvoirs à un organisme monétaire international était développée suivant une logique rigoureuse. La détermination du degré de liquidité internationale ne devait pas être laissée, comme c’était le cas dans le passé, au hasard — aux découvertes aléatoires de gisements aurifères — ou à la volonté d’un nombre restreint de pays — ventes d’or des pays producteurs, déficit de la balance des paiements des Etats-Unis et de la Grande-Bretagne — ou aux décisions, unilatérales et incoordonnées des pays intéressés de modifier la politique suivie dans la gestion de leurs réserves de change ; elle aurait dû être déterminée rationnellement par un organisme international unique. De même que dans le cadre d’un Etat la banque centrale veille sur l’activité des institutions financières et gère la liquidité interne, de même au niveau international la clearing union aurait veillé sur le comportement des autorités monétaires nationales et aurait géré la liquidité internationale.
Keynes, en développant son idée, oubliait toutefois que les expériences réalisées à l’intérieur d’un Etat ne peuvent pas toujours être transposées valablement au niveau international. Cette affirmation, valable en général, est particulièrement vraie quand il s’agit de la monnaie. Dans le cadre des Etats, l’usage de la monnaie fiduciaire a pu naître et se répandre parce que ce processus se fondait sur une « base de pouvoir » représentée par l’Etat moderne. Aujourd’hui, on ne peut pas faire l’hypothèse de l’usage généralisé d’une monnaie fiduciaire internationale, dans la mesure où n’existe pas — et où il n’est pas pensable qu’existera dans un avenir proche — une volonté publique internationale. Etant donné l’actuelle division du monde en Etats souverains, les règlements internationaux peuvent avoir lieu, typiquement, ou bien en utilisant directement l’or, c’est-à-dire une monnaie naturelle, ou bien en utilisant des devises appréciées émises par des Etats qui en garantissent la valeur ; il est clair qu’une monnaie de papier peut être acceptée comme moyen de paiement international seulement si elle est soutenue par un Etat qui, sur la base de sa puissance politique et économique, en garantit la stabilité.
Naturellement il est légitime de faire l’hypothèse d’une meilleure collaboration internationale dans le domaine monétaire. La naissance même d’une unité de compte internationale peut devenir un projet réaliste là où existe une convergence des raisons d’Etat des Etats participant à l’accord. Il est clair, toutefois, que cette unité de compte ne pourrait pas évoluer graduellement vers une monnaie souveraine, dans la mesure où ce passage implique un « saut qualitatif » d’un système d’Etats souverains à un système politiquement unifié. En outre, le destin de cette unité de compte dépendrait de la stabilité de la convergence des raisons d’Etat de tous les pays participant à l’accord.
Une analogie avec le droit est utile à ce propos. L’aspiration au règlement des conflits entre les Etats en recourant à une Cour de justice internationale est profondément enracinée dans le cœur des hommes. Mais comme le droit international, la monnaie internationale dépend plus des rapports de force entre les Etats que de décisions rationnelles prises dans l’intérêt commun.[8]
C’est en ce sens que nous pouvons affirmer que l’hypothèse politique qui soutient le plan Keynes est la formation d’un pouvoir politique au niveau mondial. A la limite, c’est seulement dans un Etat mondial, avec une monnaie mondiale, qu’un abandon de la base monétaire internationale ou un effondrement de l’unité monétaire internationale ne pourrait jamais avoir lieu.[9]
Ces observations indiquent dans quelle mesure le plan Keynes peut être considéré comme utopique. La logique de ce projet est rigoureuse : elle fait abstraction, toutefois, de quelques données fondamentales de la réalité historico-politique qui déterminent les possibilités de réalisation de tout projet de coopération internationale.
Dans ces conditions, le plan Keynes était destiné à recueillir l’approbation enthousiaste de beaucoup, qui y reconnaissaient l’aspiration de l’humanité à dépasser ses propres divisions ; ce consensus devait s’avérer d’autant plus fort qu’il apparaissait dans un monde qui était en train de payer au prix fort sa division politique. Ce projet était toutefois destiné à tomber, parce qu’il correspondait à une phase historique, caractérisée par une profonde intégration économique et politique au niveau mondial, que l’humanité n’a pas encore atteint.
4. — La profonde disparité des conditions économiques caractérisant les différents pays, qui opposait surtout les Etats-Unis, d’un côté, et les Etats européens, de l’autre, représentait dans l’immédiat après-guerre un obstacle insurmontable à l’adoption non seulement du plan Keynes mais aussi de tout projet analogue, même moins ambitieux, visant à résoudre les problèmes immédiats posés par le manque — et l’inégale répartition — de liquidités internationales par l’utilisation d’une unité de compte internationale soutenue par le consensus des pays économiquement les plus développés du monde.
Dans l’immédiat après-guerre, c’était prévisible, tous les Etats européens auraient soldé leurs rapports avec l’extérieur par des déficits, tandis que les soldes créditeurs correspondants auraient été concentrés surtout aux Etats-Unis ; tandis que la création d’une unité de compte internationale aurait pu représenter une solution valable, même à court terme, pour résoudre le problème de la liquidité internationale, seulement s’il avait été possible de prévoir que les soldes créditeurs seraient répartis entre un certain nombre de pays et que les divers pays seraient, à tour de rôle, pour de courtes périodes, tantôt créditeurs tantôt débiteurs.[10]
Dans cette situation, les Etats-Unis ne pouvaient pas adhérer à un accord qui les aurait contraints à financer automatiquement le déficit des autres pays par l’accumulation de crédits exprimés en une unité de compte inconvertible.[11] L’octroi de crédits aux pays débiteurs représente un des instruments utilisés par les pays créditeurs, dans leur politique extérieure, pour modifier à leur avantage la distribution du pouvoir dans le monde. Au vrai, l’adoption intégrale du plan Keynes aurait fait peser sur les Etats-Unis une charge, pour financer la reconstruction en Europe, inférieure à celle qu’ils ont ensuite supporté dans la réalité dans le cadre des plans d’aide économique approuvés par le Congrès américain ; toutefois, la possibilité pour les Etats-Unis d’influer sur les pays débiteurs aurait été différente suivant le cas. Le choix fait par les Etats-Unis ne peut pas être interprété exclusivement en termes économiques, sans tenir compte d’une analyse globale des rapports entre Etats.
Les représentants américains, responsables des négociations pour la fondation d’un nouveau système monétaire international, étaient conscients de la position du dollar qui représentait, à ce moment particulier de l’histoire, la seule monnaie qui pût aspirer à remplir la fonction de moyen de paiement international. Le dollar pouvait représenter — et a représenté — la monnaie de paiement et de réserve internationale par excellence dans la mesure où elle conférait un pouvoir d’achat sur le marché américain, c’est-à-dire sur le marché le plus vaste et le plus diversifié, et en outre dans la mesure où sa stabilité était garantie par le niveau exceptionnellement élevé des réserves d’or détenues par les Etats-Unis et par la convertibilité du dollar en or au prix officiel. Il était clair, en outre, que l’affirmation du dollar comme principale monnaie internationale impliquait que le marché financier de New York jouerait, à côté de la City de Londres, le rôle de principale place financière au niveau mondial.
Le commencement de la reconstruction d’un ordre monétaire international, la destruction progressive des barrières artificielles qui isolaient les économies les unes des autres et l’abandon progressif des accords bilatéraux au profit de formes de coopération multilatérale imposaient une négociation au niveau mondial qui permît de recueillir le consensus de tous les Etats autour du plan qui serait adopté comme compromis entre les différentes exigences et les différents intérêts. Il semble évident, par ailleurs, que la possibilité par chaque Etat d’influer sur les décisions finales dépendait nécessairement de leur importance relative dans le contexte mondial.
5. — Le plan White diffère du plan Keynes comme la réalité diffère des aspirations les plus nobles. Le plan White se présente sous la forme d’un projet technique pour la création d’un Fonds de stabilisation des changes, financé par les Etats membres et leur fournissant, à certaines conditions, des devises étrangères. Il ne possède aucun des caractères du plan Keynes ; il n’est pas le fruit d’un vision originale et profondément révolutionnaire de l’ordre international, ni ne possède la clarté et la cohérence interne qui caractérisaient le projet du grand économiste anglais. Le fait est que dans le plan White coexistent deux aspects difficilement conciliables : d’un côté, la volonté de sauvegarder les intérêts nationaux des Etats-Unis, de l’autre, la nécessité de ne pas violer les principes de la coopération internationale.[12]
Le plan White ne se proposait pas de résoudre le problème de la liquidité internationale. La création de moyens de paiement fiduciaires, différents de l’or et des monnaies nationales appréciées, aurait ôté aux Etats-Unis la position privilégiée qui résultait pour eux de l’utilisation du dollar comme monnaie internationale.
Les pays membres, par conséquent, pourraient recourir au Fonds seulement pour obtenir des crédits à court terme, suffisants pour stabiliser les cours de leur monnaie, mais inadéquats pour affronter des déséquilibres à moyen et long terme de la balance des paiements. Dans ces conditions, la faculté reconnue au Fonds de contrôler le processus de rééquilibre des pays qui auraient eu recours à ses ressources et d’orienter les interventions décidées à cette fin par ces pays n’a qu’une importance relativement limitée.[13]
Dans les négociations de Bretton-Woods, le plan White devait l’emporter. Déjà, dans les pourparlers préliminaires de la Conférence, la plupart des propositions originales contenues dans le plan Keynes avaient été abandonnées ; cette première phase des discussions s’était donc conclue par l’élaboration d’un projet commun qui reproduisait le plan White dans ses grandes lignes.[14] Ce texte, présenté comme document de base à la Conférence de Bretton-Woods, fut approuvé par cette conférence avec quelques mises au point de détail qui n’en modifiaient pas les caractéristiques essentielles. Le Fonds de stabilisation prévu par White prit le nom de Fonds Monétaire International. Il serait accompagné d’une Banque internationale pour la reconstruction et le développement.
C’est de cette façon que fut accompli un pas fondamental vers la fondation d’un ordre monétaire international qui représentait la condition préalable essentielle de la reconstruction d’un ordre économique international. Le nouvel ordre monétaire international serait fondé sur le dollar,[15] qui aurait ainsi joué le rôle de monnaie-clef du système. Cette donnée, d’ailleurs, correspondait à l’équilibre politique international né du conflit mondial, fondé sur le leadership, politique et économique, des Etats-Unis à l’égard du reste du monde occidental.
6. — Les accords monétaires de Bretton-Woods avaient laissé le problème de la rareté des moyens de paiement internationaux sans solution. Dans l’immédiat après-guerre, le phénomène du dollar gap qui avait déjà caractérisé les années postérieures au premier conflit mondial devait par conséquent se répéter.
Dans un régime d’étalon de change-or, la création de liquidités internationales avait lieu, typiquement, par l’acquisition d’une position débitrice de la balance des paiements de l’Etat à monnaie de réserve. Mais dans les années immédiatement postérieures au conflit, il paraissait évident qu’aux Etats-Unis prévaudraient des tendances plus déflationnistes, ou moins inflationnistes, par rapport aux autres pays, et en particulier par rapport aux pays européens ; ces tendances, conjointement à d’autres causes,[16] auraient donc comporté un surplus constant de la balance des paiements américaine et, par voie de conséquence, une diminution de la liquidité internationale déjà insuffisante.
Cette situation, si elle avait en général un effet déflationniste au niveau mondial dans la mesure où elle rendait difficile le développement du commerce international, constituait un obstacle très grave au processus de reconstruction pour les pays européens.
A la fin de la guerre, les pays européens se trouvèrent en face d’une situation économique désastreuse. Les destructions de la période de guerre avaient fait régresser la capacité de production de l’industrie et de l’agriculture à des niveaux inférieurs à ceux de 1938 ; les réserves d’or avaient été épuisées durant le conflit pour acheter des matières premières et du matériel stratégique ; pareillement, les réserves en devises étrangères, et en particulier les réserves en dollars, nécessaires pour financer les importations, étaient à des niveaux tout à fait insuffisants ; les économies intérieures se trouvaient dans un état de grave dépression, aggravé par de violents processus inflationnistes qui comportaient une dévalorisation continuelle de la monnaie. Dans ces circonstances, la possibilité pour les pays européens de reconstruire leur potentiel de production dépendait de leur aptitude à obtenir des transferts de ressources réelles du reste du monde, surtout des Etats-Unis. En particulier, étant donné que les pays européens ne disposaient pas de réserves de devises suffisantes, la possibilité pour ces derniers de financer les importations nécessaires à la reconstruction était étroitement liée à un accroissement de la liquidité internationale.
Le manque de liquidités internationales, en outre, faisait obstacle au processus de reconstruction des pays européens dans la mesure où il empêchait le développement intégré des économies européennes. Placés devant la tâche de reconstruire leurs économies, les Européens comprenaient à l’évidence que le progrès et le bien-être de l’Europe dépendraient de leur aptitude à surmonter la vieille division du continent en Etats nationaux ; l’évolution des techniques de production et la révolution technologique réalisée dans les premières décennies du siècle exigeaient que la division du travail soit réalisée à l’échelle continentale. Atteindre cet objectif imposait cependant, comme première réalisation partielle, un accroissement progressif des échanges de biens et de services entre les Etats européens, qui était, par conséquent, conditionné par la possibilité de financer le développement de ces courants commerciaux sur une base multilatérale.
Or, en présence de ces difficultés déterminées par le dollar gap, la seule solution qui parut possible aux Etats européens, dans un premier temps, pour rétablir des relations économiques internationales fut la multiplication d’accords d’échanges bilatéraux. Ces accords réussirent, en fait, dans la situation difficile de l’immédiat après-guerre,[17] à faire accomplir aux Etats un important pas en avant dans le sens de la coopération internationale, commerciale et monétaire, et de l’abandon de politiques rigides d’autarcie. Toutefois, ils révélèrent bien vite leurs graves limites ;[18] la politique des accords bilatéraux, qui pouvait amorcer la croissance des échanges internationaux, était tout à fait impropre à soutenir leur expansion. Sur le plan intérieur, en outre, la politique des accords bilatéraux, qu’avait dénoncée Keynes à Bretton-Woods, déterminait une allocation inefficiente des ressources, dans la mesure où elle empêchait de s’approvisionner sur les marchés d’offre aux conditions les plus avantageuses et de localiser la production sur les marchés où la demande était la plus élevée ; la logique des rapports bilatéraux comportait, comme conséquence inévitable, une augmentation des coûts de production et un ralentissement de l’accroissement de la productivité des systèmes économiques.
Dans ce contexte s’insèrent une série d’initiatives, prises par les Etats-Unis et par les Etats européens, visant, suivant des modalités différentes, à dépasser les limites du bilatéralisme et à accélérer la libéralisation progressive des échanges commerciaux et des paiements qui avait constitué l’engagement solennel des Etats représentés à la conférence de Bretton-Woods.
Du côté des Etats-Unis, au printemps 1947, George Marshall annonçait pour la première fois, dans un discours prononcé à l’université de Harvard, le lancement d’un programme massif d’aide économique.[19] Ce plan, toujours désigné par la suite du nom du secrétaire d’Etat américain qui l’avait imaginé, devait contribuer de façon déterminante à résoudre les problèmes posés par la reconstruction en Europe. Il permit le transfert des Etats-Unis aux Etats européens des ressources réelles nécessaires pour reconstruire le potentiel productif européen détruit ou gravement endommagé pendant le conflit mondial ; en outre, il contribua à pallier le manque de liquidités internationales, en réalisant des transferts financiers supérieurs à 15 milliards de dollars en l’espace de cinq ans.
Suivant la même ligne politique qui les avait amenés à lancer le plan Marshall, les Etats-Unis patronnaient, en outre, la fondation de l’O.E.C.E. et de l’O.T.A.N. et la conclusion des accords G.A.T.T.
Du côté européen, en 1947, les pays du Benelux, la France et l’Italie passaient un premier accord monétaire fondé sur le principe de la compensation multilatérale ; cet accord était suivi par d’autres accords d’importance toujours plus grande, qui constituaient l’indispensable condition préalable de la naissance de l’Union européenne des paiements, c’est-à-dire d’un projet cohérent formé par les pays européens pour surmonter les difficultés résultant du manque de liquidités internationales par une union monétaire européenne.
7. — L’Union européenne des paiements, née en 1950 à Paris dans le cadre institutionnel fourni par l’O.E.C.E., mérite d’être attentivement considérée dans la mesure où elle représente une solution novatrice au problème de la garantie d’un niveau suffisant de liquidité internationale. Historiquement, en outre, l’U.E.P. a rempli l’importante fonction d’assurer le passage des monnaies européennes à la convertibilité multilatérale. Ce fut possible dans la mesure où l’U.E.P., d’une part, a contribué directement à l’élimination des restrictions en vigueur sur les changes, d’autre part, a facilité l’expansion des échanges commerciaux internationaux en rendant possible une utilisation plus économique des moyens de paiement possédés par les Etats participant à l’Union, et par conséquent en permettant une plus grande libéralisation des échanges sans engendrer des tensions intenables dans la balance des paiements des pays membres.
L’U.E.P. se fondait sur l’action conjointe de mécanismes divers. Plus précisément, son fonctionnement peut être présenté comme un mécanisme qui combinait la compensation multilatérale des soldes entre les pays membres, un système de crédits automatiques, sur une base réciproque, des pays en excédent aux pays en déficit, et enfin une modalité de règlement des soldes débiteurs qui introduisait en fait des contraintes analogues à celles en vigueur en régime d’étalon-or.
La compensation multilatérale des soldes[20] peut contribuer au développement du commerce international dans la mesure où elle permet à un Etat d’utiliser ses créances sur un deuxième pays pour éteindre les dettes accumulées envers un troisième Etat, quand les trois pays participent à l’accord, sans qu’il soit besoin de recourir au marché des changes. En l’absence de la convertibilité des monnaies, ou dans une situation de grave carence des liquidités internationales, ce mécanisme affranchit les Etats de la nécessité d’équilibrer rigoureusement leurs rapports sur une base bilatérale ; en présence de la convertibilité, il diminue les besoins de liquidités liés au financement du commerce international et, par conséquent, diminue la pression sur les réserves de devises des pays participant à l’accord.
Un simple accord de clearing est insuffisant, toutefois, pour résoudre le problème que posent les déséquilibres temporaires qui pourraient se manifester dans la balance des paiements d’un pays participant. En fait, les accords de clearing, en tant que tels, ne prévoient pas l’octroi de crédits entre pays participants ; la seule forme de crédit implicite dans l’accord de clearing est représentée par le financement à court terme que le pays créditeur doit accorder au pays débiteur jusqu’à l’échéance périodique où les soldes sont liquidés.[21]
Par conséquent, dans la mesure où il est possible de considérer comme inévitable l’apparition de déséquilibres dans les balances des paiements des pays membres en conséquence de la non-coïncidence en règle générale des rythmes de développement des différents pays, de même que les économies connaissent rarement des phases conjoncturelles à mouvement parallèle, tout accord de clearing est voué à l’échec s’il ne s’intègre pas à d’autres mécanismes compensateurs de ces déséquilibres. C’est pour cette raison, comme on l’a déjà rappelé, que l’U.E.P. prévoyait explicitement un système de crédits automatiques des pays en excédent aux pays en déficit.
C’est un problème d’un autre ordre que posent les rapports des pays parties à l’accord de clearing avec les pays tiers. Il est clair en effet que les pays membres à balance des paiements excédentaire financent les autres Etats participant à l’accord sans avoir la possibilité d’utiliser ces crédits pour importer des biens et des services des pays qui ne participent pas au clearing. Une union des paiements, bien que complétée par la mise en œuvre en son sein d’un système de crédits automatiques sur une base multilatérale, engendre la tendance de chaque Etat membre à équilibrer parfaitement ses exportations à destination et ses importations en provenance des autres Etats membres considérés comme une unité. Cela peut faire obstacle, évidemment, au développement de rapports commerciaux avec les pays tiers ou même déterminer une contraction des rapports déjà existants.
Ces effets de distorsion caractéristiques de tout accord de compensation multilatérale des paiements constituent un problème particulièrement grave dans le cas de l’U.E.P. Dans les années de l’immédiat après-guerre, les rapports entre les Etats européens et les Etats-Unis d’Amérique constituaient un problème crucial, dans la mesure où seul le système productif américain était en état de fournir certains biens indispensables pour la reconstruction des économies européennes.
Le fait est que l’U.E.P. ne peut pas être analysée en faisant abstraction d’autres éléments, avant tout l’existence du plan Marshall et de l’O.E.C.E., et plus généralement en l’isolant du contexte historique où elle a vu le jour. L’U.E.P. n’a pas eu à aborder les problèmes des rapports des pays européens avec le reste du monde dans la mesure où ceux-ci avaient déjà trouvé une solution.
L’U.E.P. est née dans le cadre de l’ordre monétaire fondé à Bretton-Woods et n’a jamais ambitionné d’être le premier noyau d’un nouveau système monétaire qui remplacerait l’étalon de change-or. Elle a pu être organisée et remplir la fonction à laquelle elle était destinée parce que dans la période historique où elle a fonctionné la convergence des intérêts les plus profonds des pays européens rendait possible la conclusion d’accords monétaires sur une base multilatérale et l’expression d’une unité de compte européenne, quoique nécessairement subordonnée au dollar.
8. — La rareté du dollar qui avait caractérisé les premières années de cet après-guerre devait bien vite se révéler un phénomène temporaire. Les aides accordées par les Etats-Unis à l’Europe, l’organisation d’accords monétaires régionaux,[22] la reconstruction des économies européennes détruites par la guerre et la reconversion des industries en fonction du choix du marché ouvert par les Etats européens ont déterminé un changement radical de la situation au début des années cinquante. Ces profondes transformations ont permis aux Etats européens de rétablir d’abord l’équilibre de leurs balances des paiements, et dans un second temps leur excédent, et, par conséquent, leur ont permis de reconstruire leurs réserves monétaires.
Déjà au début des années cinquante, il est possible d’affirmer qu’il n’existait plus de problème de rareté du dollar ; les autorités monétaires avaient continué à se plaindre de la rareté du dollar longtemps après qu’elle eût fait place à une saturation, mais il faut imputer cet état de choses exclusivement au retard avec lequel les hommes prirent conscience de la nouvelle situation.[23]
Entre 1950 et 1956, les Etats-Unis accumulèrent des déficits de leur balance des paiements se montant globalement à plus de 10 milliards de dollars ; après une brève interruption, due à la crise de Suez, cette tendance continua au cours des années suivantes. Les paiements des Etats-Unis à l’extérieur sont devenus supérieurs à leurs revenus provenant du reste du monde ; c’est pourquoi les Etats-Unis alimentent un accroissement constant de la liquidité internationale par la cession d’or, qui réalise une répartition plus équitable des réserves d’or, et par l’augmentation de leurs éléments de passif à vue.
Dans cette situation, les pays européens purent rétablir la convertibilité de leurs monnaies et beaucoup purent croire qu’on était arrivé désormais à une organisation monétaire internationale stable destinée à garantir un développement équilibré des relations économiques internationales.
L’ordre monétaire réalisé au début des années cinquante portait toutefois en lui les germes de sa crise. La caractéristique fondamentale du système monétaire international conçu à Bretton-Woods, comme nous l’avons vu, consiste dans l’emploi du dollar à côté de l’or, comme moyen de paiement international. Or, pour qu’un tel système puisse fonctionner, deux conditions doivent être remplies. En premier lieu, il est nécessaire que la confiance dans le dollar reste intacte, et donc que les banques centrales acceptent d’accumuler une part croissante de leurs réserves internationales sous la forme de dollars ; en second lieu, il est nécessaire que la quantité de dollars accumulés comme moyens de paiement et de réserve soit suffisante pour satisfaire les besoins de liquidités internationales.
Pour garantir un niveau suffisant de liquidité internationale, les Etats-Unis doivent maintenir un déficit permanent de leur balance des paiements ; l’accumulation de déficits, toutefois, engendre inévitablement un appauvrissement des réserves d’or et accroît les dettes à vue des Etats-Unis et donc alimente les craintes au sujet de la stabilité du dollar.
Ce dilemme mis en lumière par R. Triffin, révèle les limites du système monétaire international fondé à Bretton-Woods,[24] et plus généralement de tout système fondé sur l’utilisation d’une monnaie nationale comme instrument de réserve à côté de l’or.
9. — L’érosion graduelle des réserves d’or des Etats-Unis prit un rythme de plus en plus préoccupant à la fin des années cinquante, jusqu’à ce que, en octobre 1960, en conséquence de l’aggravation du déficit de la balance des paiements américaine, la crise latente du dollar éclatât avec l’augmentation imprévue des cotations de l’or sur le marché de Londres.
A la base de la difficulté croissante pour le dollar de garantir le fonctionnement de l’étalon de change-or, on trouvait en premier lieu les modifications intervenues dans la situation de l’Europe. Comme nous l’avons déjà vu, les Etats européens, une fois achevée la reconstruction de leur potentiel productif, avaient atteint une position excédentaire dans leurs rapports avec l’extérieur ; l’aptitude des pays européens à maintenir leurs balances des paiements en excédent était en outre renforcée par la mise en route du processus de libéralisation des échanges qui, en réalisant l’élargissement des dimensions du marché, avait ouvert une période caractérisée par un rapide développement économique de l’Europe.
Or, un système monétaire fondé sur l’étalon de change-or exige que les pays économiquement les plus développés contribuent à la création de liquidités internationales par des exportations de capitaux compensatrices de l’excédent de la balance commerciale. Une fois reconstitué leur potentiel productif et rétablie dans sa position de puissance économique au niveau mondial, l’Europe aurait dû rejoindre les Etats-Unis comme créatrice de liquidités internationales ; la monnaie européenne aurait dû remplir avec le dollar la fonction de moyen de paiement et de réserve international. De cette façon, la charge du financement de l’expansion du commerce international n’aurait plus pesée exclusivement sur l’économie américaine, mais aurait été répartie sur les deux économies les plus développées du monde, tempérant le besoin de disposer d’un niveau suffisant de liquidités internationales par l’exigence de contenir les exportations de capitaux des pays à monnaie de réserve dans les limites correspondant à leur capacité de produire un excédent de la balance commerciale.
Toutefois, l’Europe, par suite de sa division politique ne pouvait pas jouer ce rôle, dans la mesure où aucun des Etats européens, isolément, n’est en état de devenir un centre monétaire et financier international ; l’accumulation de soldes positifs de la balance commerciale des pays européens ne pouvait pas constituer, par conséquent, la base de la création de nouvelles liquidités internationales, mais se traduisait exclusivement par une accumulation croissante de réserves par les banques centrales européennes.
Dans une telle situation, des initiatives unilatérales des Etats-Unis ne pouvaient pas se révéler efficaces. En fait, les Etats-Unis, aux temps de l’administration Kennedy, ont pris une initiative résolue pour contenir le déficit de la balance des paiements ; les mesures prises par le gouvernement de Washington, toutefois, n’étaient pas à même de résoudre le dilemme dénoncé par Triffin. Si les Etats-Unis avaient rétabli l’équilibre de leur balance des paiements, le problème de l’insuffisance des liquidités internationales aurait été rendu plus aigu, inévitablement ; si les déficits de la balance des paiements américaine avaient continué de s’accumuler, la détérioration des réserves américaines et l’augmentation des éléments de passif à vue auraient diminué la confiance dans la solidité du dollar et seraient donc apparus comme des facteurs de crise de l’ordre monétaire international.
Le fait est que la montée de l’Europe comme puissance économique mondiale, sans que lui réponde la naissance d’un pôle européen dans l’équilibre politique international, a mis en crise le système monétaire international en vigueur sans lui opposer une solution de rechange, autrement dit a mis en crise le dollar, mais n’a pas pu susciter une monnaie européenne représentant un substitut à l’utilisation du dollar comme instrument de réserve.
Avec les années soixante commence par conséquent une période marquée par de nombreuses crises monétaires et par la conviction diffuse qu’il serait nécessaire de modifier les mécanismes de création des liquidités internationales. Dans un premier temps, on assiste à la tentative d’enrayer la crise du système monétaire international par une série d’interventions ponctuelles, tandis que s’ouvre un débat au sein du F.M.I. pour définir les grandes lignes d’une réforme structurelle du système monétaire international ; bien vite, toutefois, les interventions concertées au niveau international se révèlent inadaptées en face de la gravité de la crise, et le débat sur les problèmes de la réforme du système monétaire tend à se concentrer autour de l’opposition fondamentale qui sépare les Etats-Unis, d’une part, et les pays européens, ainsi que le Japon, d’autre part.
10. — Dans la recherche d’une solution qui permette de surmonter la crise du système monétaire international, des thèses nombreuses et opposées ont été soutenues dans les quinze dernières années. Malgré leur diversité, elles peuvent se ramener à quatre groupes fondamentaux, représentés respectivement par les propositions visant à consolider le système monétaire en vigueur, à réévaluer l’utilisation de l’or comme moyen de paiement international, à résoudre le problème de la liquidité internationale par la création de nouveaux instruments de réserve fiduciaires — comme par exemple les droits de tirage spéciaux — et enfin à fonder un nouvel ordre monétaire international sur la création de zones monétaires régionales, définies par la conclusion d’accords d’union monétaire sur une base régionale.[25]
Cette classification, naturellement, comme toutes les classifications, est en partie arbitraire. Souvent, les plans de réforme contiennent des propositions tendant à atteindre des objectifs différents, présentent une structure complexe et proposent des solutions élaborées, c’est pourquoi ils pourraient être classés en deux catégories ou plus de deux en fonction de l’aspect considéré comme prédominant ; dans certains cas, le problème d’une classification des plans différente de celle qui vient d’être indiquée pourrait même se poser. Toutefois, si l’on veut brosser un tableau synthétique du débat sur la réforme du système monétaire international, il est absolument nécessaire de faire abstraction de nombreux aspects de ce débat.
11. — A partir de 1960, les autorités monétaires ont été appelées à affronter une série de crises internationales de gravité croissante. En l’absence d’un accord général sur un plan de réforme plus large, les interventions pratiquées ont été marquées nécessairement par une « politique d’arrangement », autrement dit par une politique tendant à renforcer les structures du système monétaire en vigueur.[26]
Ces interventions ont essentiellement consisté en accords à court terme qui comportaient l’ouverture de lignes de crédit sur une base réciproque entre banques centrales. Ce qu’on appelle les accords d’aide réciproque — swap arrangements — conclus entre le Federal Reserve System et quelques banques centrales européennes sont typiques à ce propos.[27]
D’autres formes d’assistance à court terme entre banques centrales ont été utilisées à l’occasion de crises monétaires imprévues ; ainsi, des opérations ad hoc ont été effectuées, à plusieurs reprises, par les banques centrales en faveur de la livre ou d’autres monnaies temporairement en difficulté.[28]
Des accords financiers à plus long terme ont pris la forme d’émissions par les Etats-Unis d’obligations à moyen terme garanties contre les risques de change, placées auprès de quelques banques centrales afin d’encourager la volonté des pays à larges disponibilités en dollars de s’abstenir de convertir en or des quantités excessives des dollars qu’ils détenaient. Ces obligations[29] ont réalisé une consolidation à moyen terme des dettes à vue des Etats-Unis représentées par les dollars détenus par les banques centrales étrangères, et reflétaient en tant que telles la tentative, faite par les Etats-Unis dans une phase déterminée du développement du système monétaire international, d’absorber une partie des excédents de disponibilités en dollars.[30]
Ces différents types d’interventions, s’ils étaient en premier lieu destinés à résoudre des problèmes à court terme, étaient en outre rapprochés par le fait qu’ils représentaient des propositions qui se situaient dans le cadre du système monétaire international en vigueur. C’est en ce sens qu’ils participaient à la tentative de consolider l’ordre monétaire en vigueur, par opposition aux diverses tentatives de réforme entreprises dans la dernière décennie.
Cette superposition de projets tendant à aborder les problèmes à court terme et de propositions visant à renforcer la stabilité du système monétaire international en vigueur peut se retrouver, de façon exemplaire, dans les plans de renforcement du Fonds monétaire international.
Les General Arrangements to Borrow négociés en 1961-1962 entre les pays du groupe des Dix ont renforcé le F.M.I. en mettant à sa disposition des réserves additionnelles et ont contribué à contenir les inconvénients engendrés par les mouvements imprévus de capitaux à court terme à caractère spéculatif. La même signification peut être attribuée aux augmentations des quotas de participation au F.M.I.
Des observations analogues valent en outre pour les propositions de renforcement du rôle joué par le F.M.I., avancées de plusieurs côtés et qui représentaient essentiellement l’extension de techniques déjà utilisées comme le système des « tirages » ou les accords généraux de prêt rappelés ci-dessus. Tant le projet formulé par Zolotas, que ceux de Bernstein, de Maudling ou de Jacobsson,[31] pour rappeler les projets les plus importants et qui ont eu le plus de répercussions sur les négociations monétaires menées au niveau international, tendaient dans une égale mesure à renforcer l’étalon de change-or contre les effets déstabilisants engendrés par les mouvements de capitaux spéculatifs, en introduisant la possibilité pour le F.M.I. de se faire accorder des crédits par les banques centrales des pays industriels à balance des paiements en excédent et, au contraire, d’accorder des crédits correspondants aux banques centrales des pays à balance des paiements en déficit temporaire par suite de fuites de capitaux à court terme.[32]
D’autres plans visant à consolider l’ordre monétaire en vigueur s’écartaient au contraire, et même substantiellement, de ceux qui ont été rappelés ci-dessus, dans la mesure où ils prévoyaient des interventions à caractère radical tendant à éliminer dans le moyen et le long terme les causes mêmes de la crise du système monétaire international plutôt qu’à affronter les déséquilibres les plus graves et les problèmes les plus urgents.
Ainsi, en face de la propension de certains pays à accumuler de l’or et donc à aggraver la défiance à l’égard du bon fonctionnement du système monétaire international, le plan Posthuma[33] prévoyait d’homogénéiser la composition des réserves officielles, par la fixation d’une proportion uniforme entre l’or et les devises détenues comme réserves par chaque banque centrale, de manière à réaliser une meilleure répartition, au niveau international, des risques de changement des parités monétaires, et, en fait, de façon à augmenter la demande de dollars de la part des pays dont les réserves présentaient un rapport or/total des devises élevé.[34] Le plan Posthuma prévoyait en outre un second aspect, représenté par l’utilisation comme moyens de paiement internationaux de plusieurs devises à côté du dollar et de l’or ; de la sorte, la liquidité internationale aurait pu s’adapter aux besoins croissants du financement du commerce international même dans l’hypothèse d’un rééquilibre de la balance des paiements des Etats-Unis.
Il est évident que la réalisation du plan Posthuma aurait impliqué une consolidation de l’ordre monétaire, même si, en vérité, il est très difficile d’imaginer quel mécanisme aurait pu garantir que chacun des pays maintiendrait la composition des réserves dans les proportions établies,[35] de même qu’il est très difficile d’imaginer qu’un accord international soit suffisant pour donner à plusieurs devises nationales le statut de monnaie de réserve.[36]
Un moyen différent de consolider l’ordre monétaire issu de Bretton-Woods est celui que soutient Hansen,[37] représenté par l’octroi par les Etats-Unis d’une garantie-or sur la valeur du dollar. En d’autres termes, selon Hansen, les Etats-Unis auraient dû « offrir à tous les détenteurs de dollars officiels une garantie solennelle sur le change en or, par laquelle on assurât que la perte qu’auraient encourue ces détenteurs en cas de future dévaluation du dollar serait complètement couverte ».[38]
Au vrai, cette proposition, plus qu’elle ne représente une solution à une situation de crise, constituait une dénonciation de la crise elle-même. La composante fiduciaire du système monétaire international ne peut pas être constituée par une clause contractuelle, mais ne peut dériver que de la position prééminente d’une monnaie — ou de plusieurs monnaies — soutenue par un système politique et économique qui en garantisse la stabilité. Il est en outre difficile de prévoir que le Congrès américain eût accepté de reconnaître la faiblesse du dollar en offrant une garantie unilatérale en faveur des détenteurs de dollars.[39]
Une approche complètement différente du problème de la consolidation de l’étalon de change-or est enfin représenté par les propositions visant à contenir les déficits de la balance américaine des paiements dans les limites nécessaires pour assurer une expansion modérée de la liquidité internationale, correspondant aux besoins croissants d’instruments de paiement et de réserve internationaux.[40] Avec plus de détails, les propositions avancées dans ce sens peuvent être classées en deux groupes, d’une côté celles qui indiquaient dans l’accroissement des importations de biens et de services ou des exportations de capitaux par les pays européens l’instrument pour limiter l’accumulation de réserves en excès ; de l’autre, les propositions qui indiquaient dans l’accroissement des exportations de biens et de services ou la diminution des exportations de capitaux par les Etats-Unis l’instrument pour contenir l’augmentation de la liquidité internationale dans la mesure nécessaire pour garantir le développement équilibré des rapports internationaux.
Ces propositions, toutefois, par leur nature radicale et dans la mesure où elles mettaient en question la position internationale des Etats-Unis et de l’Europe, ne devaient pas déboucher sur des négociations et sur des décisions opérationnelles dans les années soixante ; c’est seulement la grave crise monétaire arrivée à maturité au début des années soixante-dix, en imposant une profonde révision des rapports économiques, financiers et monétaires au niveau mondial, qui aurait pu représenter le présupposé pour qu’elles soient mises au centre de négociations internationales. C’est en ce sens, par conséquent, que ces propositions ont représenté une première formulation, encore embryonnaire, du débat en cours aujourd’hui et qui voit l’opposition des Etats-Unis et des pays européens.
12. — Un second groupe de propositions, identifié par la classification adoptée ici, est représenté par les projets visant à renforcer le rôle de l’or comme moyen de paiement international.
Ces propositions peuvent être considérées, au moins en première approximation, comme une réaction à caractère nationaliste contre un système monétaire qui permet aux Etats à monnaie de réserve de monopoliser les avantages de la création des réserves internationales pour financer les déficits de leurs balances des paiements.
En fait, dans un régime d’étalon de change-or, les pays dont la monnaie est utilisée comme moyen de paiement international peuvent solder leurs déficits dans leurs rapports financiers avec le reste du monde par des paiements dans leur propre monnaie, sans que ces paiements se traduisent — tant qu’ils ne mettent pas le système en crise — en contraintes sur le plan de la politique économique intérieure ; au contraire, les autres pays sont contraints de solder d’éventuels déficits de leur balance des paiements par des transferts d’or ou de devises appréciées,[41] et donc à adapter leur politique économique intérieure à la contrainte que représente la nécessité de rééquilibrer les comptes avec l’extérieur. Le degré de dépendance différent de la politique économique intérieure à l’égard des rapports financiers avec l’extérieur n’est pas neutre par rapport au développement et à la stabilité des systèmes économiques ; il est clair que les pays à monnaie de réserve auront de plus grandes possibilités de conduire une politique d’expansion et de poursuivre les objectifs du plein emploi et d’un développement accéléré.
L’utilisation d’une monnaie nationale comme instrument de paiement international, en outre, fait en sorte que l’accroissement de la liquidité internationale a lieu d’une manière tout à fait aléatoire, dans la mesure où il dépend de choix d’ordre national et non d’un processus de décision tourné vers les problèmes posés par l’évolution des rapports économiques internationaux. Sous le régime de l’étalon de change-or fondé à Bretton-Woods le volume du déficit de la balance des paiements des Etats-Unis a représenté la source de l’augmentation de la liquidité internationale. Cela signifie, en termes moins neutres, que les Etats-Unis par leur politique économique étaient dans la position d’influencer la situation des paiements internationaux, alors qu’aucun des autres pays, à lui seul, n’était en mesure de se protéger contre les pressions inflationnistes ou déflationnistes engendrées au niveau international par les fluctuations de la balance américaine des paiements ;[42] au contraire, en achetant des dollars, les banques centrales des pays en excédent finançaient la politique économique américaine, sans avoir aucune possibilité d’influer sur elle.[43]
C’est en ce sens que se justifient par conséquent les critiques adressées au fonctionnement de l’étalon de change-or, soit du point de vue des modalités du jeu des mécanismes d’ajustement en présence d’éventuels déséquilibres de la balance des paiements, soit du point de vue des modalités de création des réserves en face des besoins croissants exprimés par l’économie mondiale en expansion.[44]
La solution de ces problèmes proposée par les projets visant à renforcer le rôle de l’or comme moyen de paiement international, était pourtant illusoire.
Avant tout, il faut souligner que le retour à un régime d’étalon-or, même modifié et complété par l’utilisation de mécanismes de crédit au niveau international, implique inévitablement un accroissement du prix de l’or ; cette augmentation aurait permis aux Etats-Unis de « réabsorber » tous les dollars détenus par les banques centrales dans leurs réserves[45] et, par ailleurs, représentait une condition nécessaire — mais non suffisante — pour que les réserves d’or existantes et les accroissements des disponibilités annuelles d’or nouveau fussent adaptés aux besoins de liquidités internationales.
Toutefois, il est clair, étant donné la répartition de l’or entre les banques centrales, que la réévaluation du métal précieux aurait accru le montant nominal des réserves de chaque pays d’une manière différente ; de la sorte, la redistribution des liquidités internationales consécutive au passage de l’étalon de change-or à l’étalon-or aurait avantagé les pays détenteurs de fortes réserves d’or.
Puis, en ce qui concerne l’effet de la réévaluation de l’or sur le problème de la garantie d’un niveau suffisant de liquidité internationale, l’opération aurait augmenté instantanément la liquidité internationale, alors qu’étaient souhaitables des accroissements graduels et différés des moyens de paiement à la disposition de la communauté internationale. Dans ces conditions, l’accroissement annuel de la liquidité internationale aurait dépendu des calculs d’opportunité des pays producteurs d’or et des thésauriseurs privés ;[46] ce mécanisme n’est pas moins arbitraire que celui en vigueur en régime d’étalon de change-or et qui fait dépendre les accroissements de liquidité internationale de l’allure de la balance des paiements des pays à monnaie de réserve.
En dernière analyse, il est possible d’affirmer qu’un retour à l’étalon-or aurait eu un caractère déflationniste, caché seulement temporairement par un accroissement du prix de l’or ; la conséquence de longue période d’un retour à l’étalon-or aurait donc été une contraction du commerce international et le ralentissement du développement économique au niveau mondial.
Des conclusions tout aussi négatives peuvent être tirées d’un examen de ces projets, visant à remettre en vigueur l’utilisation de l’or, du point de vue des mécanismes d’ajustement des déséquilibres des balances des paiements. En fait, toute proposition de retour à l’étalon-or ne tient pas compte de la profonde évolution subie par l’attitude des pouvoirs publics par rapport aux différents objectifs de politique économique, dans la mesure où les mécanismes automatiques — ou semi-automatiques — de rééquilibre de la balance des paiements jouant en régime d’étalon-or se subordonnent certains objectifs de politique économique devenus désormais imprescriptibles, comme la poursuite du plein emploi, de la stabilité et du développement maximal du système économique.
La possibilité du retour à des règles qui préfèrent le maintien de l’équilibre de la balance des paiements à tout autre objectif de politique économique est donc purement abstraite ; en outre, s’il était possible, par hypothèse, d’imaginer le retour à l’étalon-or, ce but serait inacceptable de toute façon à la lumière de ces valeurs sociales et de progrès qui soutiennent les régimes politiques des pays économiquement développés.[47]
Le fait est que les projets visant à rétablir au niveau international un régime monétaire du type de l’étalon-or ont polarisé à la longue le débat entre économistes et représentants des organismes monétaires officiels, surtout dans la mesure où ils servaient d’instrument de négociation et étaient soutenus à ce titre par quelques Etats dans les discussions sur la réforme du système monétaire international. Les critiques adressées à l’étalon de change-or et à l’hégémonie du dollar par J. Rueff représentent la traduction, en termes monétaires, de la ligne politique suivie à l’égard des Etats-Unis par le gouvernement français, plus violemment, et par d’autres gouvernements européens, plus souplement.
En face de la crise du système monétaire international, aucun Etat européen à lui seul n’était en mesure d’opposer une solution de rechange évolutive à l’ordre fondé sur le dollar. Dans ce cadre, les propositions de retour à l’étalon-or prenaient nécessairement une valeur « négative » dans la mesure où d’un côté elles exprimaient l’opposition à un ordre monétaire considéré comme dépassé, tandis qu’en même temps, de l’autre, elles révélaient l’incapacité de formuler une solution de rechange à cet ordre.
Naturellement, les propositions de retour à l’étalon-or correspondaient dans une certaine mesure à la situation monétaire internationale, qui leur conférait une certaine crédibilité. L’or constitue aujourd’hui les 2/3 des réserves de change totales au niveau mondial et régit encore, au moins en partie, les échanges internationaux. Au stade actuel du développement de l’histoire, où le désordre international est une hypothèse qui doit toujours être retenue par les Etats, l’or est encore appelé à remplir une fonction importante comme instrument de réserve international.
Tant qu’existeront des Etats indépendants et souverains, le danger de conflits armés subsistera ; et tant que les conflits entre Etats seront réglés par la force, chaque pays, conscient de l’impossibilité éventuelle d’utiliser en cas de grave crise internationale les composantes fiduciaires de ses réserves de change, aura intérêt à conserver au moins une partie de ses réserves sous la forme d’or comme « trésor de guerre ».[48]
13. — Tous les projets visant à résoudre le problème des liquidités internationales par la création de nouveaux instruments de réserve fiduciaires présentent, même dans leurs caractéristiques individuelles qui opposent chacun d’entre eux aux autres projets, quelque analogie de fond avec le plan Keynes, dont ils reproduisent les mérites et en même temps les limites.
Ces projets se différencient en fonction des diverses solutions proposées aux problèmes que représentent les mécanismes de création des nouveaux instruments de réserve, leur répartition entre les pays participant à l’accord, les règles d’utilisation des nouveaux moyens de paiement, la détermination des pays responsables de la gestion de l’accord et les pouvoirs discrétionnaires des organes de gestion. Chacun de ces problèmes peut être résolu de différentes manières, c’est pourquoi le choix est entre les multiples possibilités que représentent les différentes combinaisons des solutions possibles.
En principe, les divers projets se situent entre deux extrêmes, représentés d’une part par le projet le plus « maximaliste » de R. Triffin, d’autre part par le projet le plus « minimaliste » de l’institution des droits de tirage spéciaux.
Les propositions avancées par Triffin, pareillement à d’autres projets,[49] prévoyaient fondamentalement la transformation du F.M.I. en une banque mondiale, en mesure de créer de façon autonome des liquidités internationales. Le principe fondamental soutenu par ce projet était la reconnaissance de l’opportunité de la réalisation au niveau mondial de l’organisation centralisée du système monétaire et de crédit aujourd’hui existant au niveau national. « De même que la constitution d’une banque centrale nationale peut multiplier la capacité du système bancaire d’un pays de créer de la monnaie nationale, de même la constitution d’une banque centrale mondiale peut multiplier la capacité du système bancaire mondial de créer des réserves internationales et de rendre les banques centrales à l’épreuve des coups ».[50]
C’est en ce sens qu’il est possible d’objecter que le plan Triffin, comme déjà le plan Keynes, reposait sur un présupposé politique irréalisable dans la phase actuelle de l’évolution historique, dans la mesure où il implique le dépassement de la division de l’humanité en Etats souverains et indépendants. En face des propositions avancées par Triffin — et par les autres économistes qui partagent les convictions fondamentales de Triffin —, il faut reconnaître qu’elles offraient la seule perspective en mesure de garantir, à long terme, un ordre monétaire mondial stable et durable ; mais il est tout aussi nécessaire de mettre en lumière qu’elles n’étaient pas à même de constituer une alternative réelle à l’étalon de change-or.
Les propositions de création de droits de tirage spéciaux — c’est-à-dire d’un nouveau moyen de réserve à utiliser à côté de l’or et des autres moyens de paiement internationaux — méritent une plus grande attention ne fût-ce qu’en raison de leur réalisation concrète à la suite des accords conclus au sein du F.M.I.[51]
L’idée d’un nouveau moyen de réserve de nature fiduciaire est contenue dans de nombreux projets formulés au cours des années soixante.[52] En fait, la détérioration progressive de l’étalon de change-or avait rendu de plus en plus évidentes les insuffisances des moyens de réserve traditionnels. L’or est en même temps moyen de réserve international et objet de spéculation ; l’accroissement annuel des réserves monétaires en or dépend d’événements aléatoires, comme la production nouvelle, l’attitude prise par les pays producteurs et les thésauriseurs privés, les variations de la demande de la part de l’industrie et de la bijouterie. L’utilisation d’une monnaie nationale comme moyen de paiement international, à son tour, fait dépendre la liquidité internationale de l’allure de la balance des paiements du pays centre de réserve et rend le système monétaire international vulnérable à toute crise de confiance à l’égard de la stabilité monétaire ou politique du pays centre de réserve.
Dans cette situation, le principe suivant lequel l’offre mondiale de réserves devait être contrôlée délibérément par la création de nouvelles réserves fiduciaires, sur la base d’un nouveau système stable et permanent, recueillait par conséquent un consensus de plus en plus large.
Des circonstances conjoncturelles particulières, que nous pouvons considérer comme fortuites, devaient en outre favoriser la conclusion d’un accord sur la création de réserves au moyen d’un nouvel instrument fiduciaire. Ces circonstances étaient représentées par un ralentissement temporaire de la croissance des liquidités mondiales sensible dans la seconde moitié des années soixante,[53] qui fit craindre à beaucoup que le point eût été atteint où les sources de liquidité internationale s’étaient désormais taries.
Un élément supplémentaire qui a facilité la conclusion d’un accord sur l’institution des D.T.S. est représenté par la conformité de la création de ce nouvel instrument de réserve aux intérêts des Etats-Unis. En fait, les D.T.S. se présentaient comme des réserves de change additionnelles et non comme un substitut du dollar ; en second lieu, les D.T.S. pourraient être utilisés par les Etats-Unis pour financer un partie de leurs déficits.
L’action conjointe de ces facteurs a, par conséquent, rendu possible l’institution des D.T.S.
Les droits de tirage spéciaux sont des instruments monétaires à caractère fiduciaire utilisables pour les règlements entre banques centrales et, en tant que tels, font office d’instruments de réserve à côté de l’or, des devises et des droits de tirage ordinaires auprès du F.M.I. Ils peuvent rester inutilisés pendant de longues périodes, mais le titulaire peut s’en servir à tout moment en cas de besoin dans la mesure où ils représentent une attribution définitive destinée à rester dans le circuit monétaire international. Les D.T.S. sont fixés en unité de compte, et celle-ci est définie par un contenu-or égal à 0,888671 grammes, indépendant de la parité de quelque monnaie nationale que ce soit ; ils peuvent être utilisés pour racheter la monnaie nationale du pays qui les détient,[54] pour acheter la monnaie d’un pays en faveur duquel un paiement doit être effectué, ou bien, enfin, pour acheter une devise quelconque.
La répartition des D.T.S. entre les pays participants eut lieu sur la base des quotas de participation au F.M.I. et tout participant, en contrepartie du droit d’utiliser inconditionnellement la totalité des droits détenus,[55] a l’obligation d’accepter les D.T.S. jusqu’à concurrence de 200% de son quota.[56]
L’apparition des D.T.S. représente la principale modification, intervenue depuis la guerre, du régime monétaire international né à Bretton-Woods. Alors que, dans le système fondé à Bretton-Woods, le F.M.I. est appelé à remplir la fonction fondamentale de stabilisation par l’octroi de crédits en devises à court terme, le F.M.I. a pris, par la naissance des D.T.S. le caractère d’une banque en mesure de créer de la monnaie, encore que ce soit avec certaines limitations.
Il est clair, par conséquent, que l’apparition des D.T.S. sur la scène monétaire internationale a pu engendrer de grandes espérances parce qu’elle a été considérée par beaucoup comme un progrès fondamental dans l’évolution du système monétaire international. L’institution des D.T.S., en fait, a été interprétée comme l’acceptation concrète, dans le domaine international, du principe que la création des liquidités internationales doit être contrôlée délibérément par la création de réserves fiduciaires anationales, expression de la collaboration entre les Etats ; l’évolution de la fonction remplie par le F.M.I. a été interprétée, à son tour, comme le premier pas vers une réforme de cet organisme qui lui permette de fournir à l’avenir les moyens de réserve internationaux nécessaires et de gérer tant leur volume que leur répartition entre les pays membres de façon à promouvoir une intégration économique internationale croissante et l’harmonisation des politiques économiques nationales nécessaire à cette fin.
Les espérances alimentées par l’institution des D.T.S. ont été toutefois bien vite déçues et l’utilisation de ces droits a été gelée en fait. Dans les intentions de leurs promoteurs, les D.T.S. auraient dû éviter la manifestation d’une insuffisance de liquidités internationales ; leur création, au contraire, a coïncidé avec une expansion sans précédent des réserves de devises, en rapport avec l’accroissement sans précédent des déficits de la balance américaine des paiements. En outre, l’existence du marché des euro-dollars a contribué à accroître encore la liquidité internationale, en réalisant une multiplication de l’augmentation de la base monétaire internationale.[57]
Le fait est que l’institution des D.T.S. aurait pu représenter une réforme radicale du système monétaire international, mais seulement à la condition que le F.M.I. eût été en mesure de jouer le rôle de banque mondiale, responsable de la gestion de la liquidité internationale. En l’absence de cette condition, l’institution des D.T.S., à elle seule, ne pouvait pas modifier l’ordre monétaire établi, dans la mesure où elle n’avait pas d’incidence sur les autres mécanismes de création des liquidités internationales.
C’est en ce sens que paraissent évidents, par conséquent, les liens profonds existants entre les projets visant à réaliser au niveau mondial une organisation centralisée du système monétaire et de crédit et les projets visant à résoudre le problème des liquidités internationales par la création de nouveaux instruments de réserve fiduciaires. Dans les deux cas, nous nous trouvons en face de la tentative de régler les rapports économiques et monétaires internationaux en faisant référence à une mythique volonté publique internationale.
Les observations exprimées à propos du plan Keynes et du plan Triffin valent donc à nouveau ici : il n’est pas pensable de régler les rapports internationaux — qu’ils soient monétaires, économiques ou politiques — au moyen d’instruments de nature juridique, c’est-à-dire dépendant de la volonté de la communauté internationale, sans la création d’un pouvoir — de dimension correspondant aux rapports à régler — qui garantisse le respect du droit. Etant donné le système actuel d’Etats souverains, une monnaie internationale peut naître seulement dans un cadre défini, représenté par la convergence des raisons d’Etat des différents pays participant à l’accord ; toutefois, dans ce cas, tout progrès possible ne représenterait pas une conquête stable et durable, mais serait toujours mis en question par des modifications des rapports politico-économiques internationaux.
14. — Un dernier groupe de projets est enfin représenté par les propositions de fonder un nouvel ordre monétaire international sur la création de zones monétaires régionales, et en particulier sur la création d’une zone monétaire européenne autonome par rapport à la zone du dollar.
Les premières propositions dans ce sens peuvent être retrouvées dans quelques écrits parus déjà au début des années cinquante.[58] En effet, l’évidence même des faits montrait, dans cette période, que les problèmes posés par le manque de dollars avaient été résolus, au moins en partie, par la création de l’U.E.P. ; il paraissait naturel, par conséquent, que ce succès incitât des économistes et des agents économiques à poursuivre dans cette voie. C’est dans ce cadre que se situent les propositions visant à transformer l’U.E.P. en la première étape d’un processus d’unification monétaire au niveau européen.
L’idée de la création d’une zone monétaire européenne était reprise et revêtit une importance de plus en plus grande au début des années soixante. Sur le plan scientifique, les contributions de Mundell et Kinnon ouvrirent un débat destiné à s’enrichir au cours des ans et qui ne peut pas être encore considéré comme épuisé.[59] Ce qui a le plus d’importance, toutefois, c’est le fait que le processus d’intégration économique européenne faisait apparaître la nécessité de développer une union monétaire européenne et en même temps rendait réaliste le projet de création d’une monnaie européenne.
Le fonctionnement d’un système monétaire international ne peut pas être apprécié indépendamment des rapports économiques et politiques entretenus par les Etats qui y participent. L’ordre monétaire fondé à Bretton-Woods correspondait à une situation internationale caractérisée par le profond écart existant dans l’immédiat après-guerre entre les Etats-Unis et les Etats européens ; mais la montée de l’Europe comme puissance économique, sur la base du processus d’intégration économique qui s’est développé dans le cadre institutionnel de la C.E.E., a permis de poursuivre l’objectif d’une réforme profonde du système monétaire international, en créant une zone monétaire européenne autonome à côté de la zone du dollar.[60]
Il est clair, en effet, qu’une monnaie européenne deviendrait nécessairement une monnaie de paiement et de réserve internationale dans la mesure où elle serait soutenue par un volume de réserves supérieur à celui que détiennent les Etats-Unis et par un système économique de dimensions continentales caractérisé par un niveau de développement comparable à celui de l’économie américaine.
Dans ce cadre, en outre, les projets de création d’une zone monétaire européenne autonome répondaient à d’autres exigences fondamentales.
La nécessité d’un renforcement de la coopération monétaire découlait pour les pays européens de l’intégration économique qu’ils avaient réalisée. Le développement de l’intégration économique européenne avait atteint, déjà au début des années soixante, un degré si avancé qu’il était impossible de consolider les résultats acquis — et encore moins de progresser — sans résoudre le problème monétaire. En particulier, la création d’un marché commun agricole, fonctionnant sur la base de la fixation de prix uniques pour les différentes catégories de produits, imposait la réalisation d’une union monétaire ; il paraissait clair, en effet, que des mouvements divergents des parités des diverses monnaies européennes auraient mis en crise les structures du marché commun agricole, dans la mesure où les Etats se seraient trouvés en face de l’alternative : accepter des variations automatiques des prix agricoles, d’une part, et, d’autre part, entamer de nouvelles et difficiles négociations intergouvernementales avec le perspective de voir entre temps les mécanismes de l’« Europe verte » paralysés. En fait, ex post, nous savons aujourd’hui que les crises monétaires qui ont suivi l’automne 1968 ont démontré, à elles seules, la fragilité d’une union douanière qui ne s’appuie pas sur des progrès parallèles dans le domaine monétaire.[61]
La nécessité pour les pays européens d’un renforcement de la coopération monétaire découlait tout autant de la volonté de reprendre le contrôle du développement des marchés monétaires et financiers européens. Dans le cadre du processus d’intégration des économies européennes, les instruments traditionnels de la politique monétaire ont perdu progressivement leur efficacité comme moyens à la disposition des pouvoirs nationaux pour influer sur le développement et sur la stabilité interne ; ce processus a été en outre accentué par le développement des marchés parallèles, monétaires et financiers, européens.[62] En face de cette évolution, seul le transfert au niveau européen des compétences de politique monétaire aurait pu rendre aux citoyens européens les pouvoirs correspondant aux limitations de souveraineté subies par les Etats nationaux européens.
La nécessité de donner vie à une zone monétaire européenne autonome a déterminé, par conséquent, la formulation de différents plans, soit au niveau académique, soit au niveau intergouvernemental ; en particulier, parmi eux, il faut rappeler le plan Werner,[63] qui peut être considéré comme le projet « officiel » le plus cohérent et le plus avancé élaboré jusqu’ici,[64] et le projet de constitution d’un Fonds européen de réserve proposé par Triffin[65] et que le Comité d’Action pour les Etats-Unis d’Europe a repris à son compte.
L’hypothèse historico-politique soutenue par tous ces projets était la possibilité de fonder, à court ou moyen terme, un pouvoir démocratique supranational au niveau européen. Il est clair qu’une « monnaie nationale est un des symboles de l’unité d’un pays. L’union monétaire sera donc poursuivie dans la mesure où l’union politique est acceptée comme fin ; l’union monétaire rencontrera au contraire de fortes oppositions tant que les gouvernements et l’opinion publique refuseront l’union politique ».[66] Cela signifie, en d’autres termes, qu’il n’est pas possible de transformer un groupe de monnaies nationales en une monnaie unique européenne sans projeter la création d’un Etat européen.
Cette nécessité était par ailleurs explicitement reconnue par la plan Werner, qui prévoyait, comme condition de la réalisation de l’union monétaire, un transfert progressif de compétences du niveau national au niveau européen, et, en même temps, une transformation dans un sens démocratique de la Communauté par l’élargissement des pouvoirs du Parlement européen et son élection directe au suffrage universel.[67]
Le fait est que la fondation d’un Etat européen est un projet réaliste, en ce sens que l’Europe occidentale dans cet après-guerre a vécu la possibilité historique de la fondation de la Fédération européenne. C’est en ce sens que les projets de création d’une monnaie européenne représentaient la seule solution de rechange possible à l’ordre monétaire en vigueur fondé sur l’utilisation du dollar comme principale monnaie de réserve internationale. La création d’une monnaie européenne représenterait un pas en avant décisif vers une solution durable de la crise du système monétaire international ; elle contribuerait à résoudre le problème de la liquidité internationale, dans la mesure où l’Europe pourrait contribuer à l’accroissement des moyens de paiement internationaux en compensant son excédent commercial par des exportations de capitaux ; de la sorte la crise du dollar serait résolue dans la mesure où la charge du financement du commerce international ne pèserait plus uniquement sur le système économique américain.
15. — La crise monétaire éclate en 1968 ; elle marque l’amorce d’un tournant décisif dans l’évolution du système monétaire international. En mars 1968, sous la pression d’énormes achats d’or, auxquels on fit face dans un premier temps par une diminution des réserves des pays membres du pool de l’or, ce dernier fut dissous, déterminant une séparation entre un marché libre et un marché officiel de l’or.
A la fin de l’été 1968 s’ouvrit une nouvelle crise monétaire, déterminée par des flux de capitaux spéculatifs guidés par l’anticipation d’une réévaluation du mark et d’une dévaluation du franc français. Après une longue défense des parités, qui coûta à la France la diminution de ses réserves de 6,8 milliards à 2,6 milliards de dollars, les autorités monétaires furent contraintes de céder : le 8 août 1969, le franc était dévalué de 11,11% et le 24 octobre le mark, après une brève période de flottement, était réévalué de 9,26%.
Ainsi s’achevait une longue période, qui s’était prolongée sur plus d’une décennie, de « crise rampante » du système monétaire international et commençait une nouvelle période caractérisée par des crises de plus en plus graves, propres à rendre inévitables en définitive des interventions radicales pour rétablir un ordre monétaire international.
Jusqu’à 1968, les symptômes de plus en plus évidents de la détérioration de l’ordre monétaire fondé à Bretton-Woods avaient ouvert un débat, au sein du Fonds monétaire international, pour dessiner les grandes lignes d’une réforme structurelle du système monétaire international ; toutefois, les interventions de soutien à court terme s’étaient toujours révélées suffisantes pour conjurer une crise du système en tant que tel.[68] En particulier, les pays membres de la C.E.E. avaient pu nourrir l’illusion que le système en vigueur était en mesure de garantir la stabilité monétaire internationale, au moins à moyen terme. Les pays membres de la C.E.E. pouvaient s’enorgueillir d’une stabilité monétaire presque absolue pendant vingt années consécutives ;[69] leurs réserves de change s’étaient accrues à un rythme incessant ; en outre, pendant toute cette longue période historique, s’était manifesté un parallélisme substantiel dans les évolutions conjoncturelles des pays de la Communauté, ce qui avait suffi à résoudre le problème du maintien de parités fixes entre les monnaies européennes.[70]
Ce tableau se modifiait profondément dans la seconde moitié de 1968. D’un côté, l’économie allemande entrait dans une phase d’expansion accélérée, dépassant la récession qui l’avait saisie dans les mois précédents et réussissant en même temps à éviter que la reprise n’engendrât des poussées inflationnistes ; de l’autre, l’économie française connaissait des phénomènes symétriquement opposés. Les événements de mai 1968 et les accords de Grenelle engendraient des poussées inflationnistes inévitablement destinées à se répercuter dans les rapports avec l’extérieur. Les évolutions divergentes qui se manifestaient à l’intérieur des deux pays les plus développés de la Communauté alimentaient la spéculation, certaine du caractère inéluctable d’un réalignement des parités du franc et du mark en fonction des variations des coûts et de la productivité dans les deux systèmes économiques.
Au niveau international, en outre, la création d’un marché libre de l’or, si elle avait permis d’arrêter la spéculation qui menaçait de faire crouler le régime de l’étalon de change-or, révélait en fait le dépassement d’un point de non-retour de la crise du système monétaire international. Dans les accords de Washington qui instituaient un marché libre de l’or, une clause était prévue suivant laquelle le gouvernement américain aurait pu refuser de convertir les dollars en or s’il soupçonnait la banque centrale qui en ferait la demande d’effectuer des opérations d’arbitrage entre le marché officiel et le marché libre de l’or : de la sorte, était introduit pour la première fois dans des accords internationaux le principe de l’inconvertibilité du dollar en or, qui avait constitué jusqu’alors une des conditions de la stabilité du monétaire international.
Si 1968 marquait la fin d’un période de stabilité monétaire internationale relative, la crise du système monétaire international, toutefois, ne se manifesta dans toute sa gravité qu’au début de 1971.
Au centre de la crise qui éclata en mai 1971, on trouve initialement le mark allemand. Le 10 mai, le mark et le florin abandonnent le régime des parités fixes pour commencer à flotter librement, tandis que le franc suisse et le schilling autrichien sont réévalués. Le 15 août, le président Nixon annonce une série de mesures visant à relancer l’économie américaine et à contenir les poussées inflationnistes internes ; en particulier, en ce qui concerne les rapports avec l’extérieur, la convertibilité du dollar en or est supprimée et une taxe de 10% est établie sur toutes les importations. En face de cette décision, tous les marchés des changes sont fermés : à leur réouverture, le 23 août, toutes les monnaies des pays économiquement les plus développés commencent à flotter librement par rapport au dollar, et par conséquent l’une par rapport à l’autre.[71]
La situation de chaos qui s’est ainsi créée se prolonge pendant plusieurs mois, jusqu’à ce que les longues négociations, ouvertes au lendemain de la grave décision américaine, aboutissent à un accord en décembre 1971, qui est signé à Washington au siège du Smithsonian Institute. Cet accord prévoit une dévaluation du dollar de 7,9% par rapport à l’or[72] et une réévaluation de la majorité des monnaies des pays développés ; en outre est prévu le retour à un système de parités fixes, avec un élargissement des marges de fluctuation des monnaies à 2,25% au-dessus et au-dessous des parités officielles par rapport au dollar. En conséquence de cet accord, la taxe de 10% sur les importations introduite en août par les Etats-Unis est abolie.
L’accord de Washington, de la sorte, conjure une crise mortelle du système monétaire international. Toutefois, il représente seulement une solution provisoire et instable, destinée à se révéler inefficace en face des premiers symptômes d’une nouvelle crise.[73]
L’accord de Washington, en effet, ne s’attaque pas aux causes fondamentales de la crise ; en outre, il aggrave les difficultés de quelques monnaies faibles — typiquement la livre et la lire — qui sont réévaluées par rapport au dollar. Les accords de Washington ne peuvent pas garantir, à eux seuls, le retour à l’équilibre de la balance des paiements américaine. Par suite, la fuite de dollars du système économique américain vers le reste du monde se poursuit en 1972. Ce phénomène a des répercussions d’autant plus graves sur la stabilité monétaire, que l’activité des marchés monétaires et financières parallèles, encore incontrôlée, multiplie effets déstabilisants du déficit américain.[74]
Enfin, pour aggraver le phénomène, s’ajoute, dans la seconde moitié de 1972, l’allure divergente de la conjoncture économique aux Etats-Unis et dans les pays européens. Tandis qu’aux Etats-Unis, le processus inflationniste est finalement réduit à un taux de développement relativement modeste, en Europe il subit une violente accélération, qui contraint les autorités monétaires européennes à entreprendre une politique restrictive. L’accroissement du prix de l’argent consécutif à ces interventions à caractère déflationniste réduit l’intérêt des agents à investir sur le marché américain des capitaux et, par conséquent, contribue à affaiblir le dollar.
L’action conjointe de ces facteurs déstabilisants a comme conséquence, après une première crise au début de l’été 1972 qui conduit au flottement de la livre, la chute du système provisoire fondé à Washington en décembre 1971. Le 22 janvier 1973, l’Italie institue un double marché de la lire, le 23 janvier le franc suisse commence à flotter librement ; le 12 février, le dollar est à nouveau dévalué, de 10%. Cette seconde dévaluation du dollar, toutefois, n’est certes pas suffisante pour rétablir la stabilité du système monétaire, mais elle en aggrave même encore la crise ; quelques jours passent, et le 23 février le dollar, sous la pression d’une vague de spéculation, perd 4,5% sur le marché des changes, passant de la limite supérieure d’intervention à la limite inférieure. Une semaine plus tard, la crise éclate à nouveau avec une violence encore plus grande, au point de contraindre les principaux marchés des changes, le 2 mars, à fermer. S’ouvre alors un nouveau cycle de négociations internationales, encore en cours au moment où ces lignes ont été écrites.
Dans cette situation, il est évident qu’une réforme radicale du système monétaire international constitue une nécessité inéluctable, dans la mesure où il apparaît de plus en plus clairement que toute hésitation supplémentaire pourrait précipiter définitivement les rapports monétaires internationaux dans un chaos à bien des points de vue analogue à celui que le monde a connu dans les années de la Grande Crise. Dans cette situation, en outre, tous les plans de réforme proposés au cours de la dernière décennie sont destinés à tomber, à l’exception de ceux qui reflètent les intérêts les plus profonds des Etats appelés à décider du nouvel ordre monétaire international.
En fait, le caractère dramatique de la situation lui-même et la nécessité d’en venir à court terme à une solution de la crise font apparaître la contradiction fondamentale qui oppose les Etats-Unis aux Etats européens, accompagnés dans ce débat par le Japon.
Le point de vue soutenu par les Etats-Unis peut être retrouvé, bien qu’énoncé schématiquement, dans les déclarations officielles faites par le gouvernement américain au moment même où était annoncée la dévaluation du dollar, le 12 février 1973. De ces déclarations, on tire, en effet, un plan cohérent de réforme du système monétaire international, fondé sur la tentative de consolider le rôle du dollar comme monnaie de paiement et de réserve internationale. Comme l’a déclaré devant le Congrès le secrétaire au Trésor Schultz, les Etats-Unis entendent « préparer le terrain législatif pour des négociations commerciales larges et ouvertes, parallèlement à nos efforts pour consolider le système monétaire » ; sous une forme moins neutre, cela signifie que les Etats-Unis s’apprêtent à demander aux Etats européens occidentaux et au Japon de substantielles concessions tarifaires qui rendent possibles l’accroissement des exportations américaines et, par conséquent, l’amélioration de leur balance commerciale. Dans les déclarations du secrétaire Schultz apparaît en outre un autre élément fondamental du projet américain, représenté par l’intention des Etats-Unis de libéraliser les mouvements de capitaux, aujourd’hui soumis à des contrôles, aussitôt que l’équilibre de leur balance des paiements aura été rétabli. Cet élément est important, dans la mesure où il est significatif de la position prise par le gouvernement américain. Il est évident, en effet, que ces mesures ont pour objectif de renforcer le rôle de New York comme place financière internationale la plus importante du monde ; New York remplirait ainsi la même fonction internationale que Londres à la fin du XIXe siècle, quand l’Angleterre (la livre) était le pivot du système monétaire international et quand les autorités anglaises étaient en mesure de diriger le développement équilibré du commerce international.[75]
Le plan américain se présente ainsi dans toute sa cohérence : dans ce projet, le rétablissement de l’équilibre de la balance des paiements américaine est garanti par la dévaluation du dollar par rapport aux monnaies des autres pays industrialisés et par des accords commerciaux à conclure avec ces pays de façon à privilégier les exportations américaines. Le renforcement du dollar qui résulterait de ce succès permettrait de consolider le rôle du dollar comme pivot de l’ordre monétaire international. Le démantèlement des barrières qui isolent aujourd’hui en partie le marché financier américain du reste du monde augmenterait enfin la stabilité du système monétaire international dans la mesure où il permettrait aux Etats-Unis d’influer plus efficacement sur l’évolution des rapports monétaires et financiers au niveau mondial.
En face du projet américain, il n’est pas possible d’identifier un projet aussi cohérent soutenu par les pays européens.
Il est clair, avant tout, que dans la situation qui s’est créée en mars 1973, il n’existait aucun espace pour des initiatives prises isolément par quelque Etat européen que ce soit. Les pays de la Communauté européenne, pris isolément, se trouvaient en face d’un dilemme sans solution : tout pays qui aurait cédé au dessein américain serait devenu un membre passif de la zone d’un dollar inconvertible ; par ailleurs, tout pays qui se serait refusé, unilatéralement, à acheter des dollars sur le marché contre sa monnaie nationale, aurait vu cette dernière s’apprécier et aurait donc soumis ses entreprises à la pression d’une concurrence croissante de la part des entreprises des pays qui auraient accepté d’entrer dans la zone du dollar. Ce dilemme, s’il était sans solution pour chaque pays, contenait en outre un danger très grave pour les pays de la Communauté dans leur ensemble : dans la mesure où chacun d’entre eux pouvait choisir l’un des deux termes de l’alternative, il mettait en effet en danger la stabilité des changes entre monnaies européennes et, par voie de conséquence, le maintien même du degré d’intégration économique atteint.
On comprend, par conséquent, que dans ces circonstances les Etats européens aient poursuivi avec la dernière énergie la tentative de trouver une réponse européenne à la crise monétaire. Sur cette voie, toutefois, les Etats européens ont trouvé un obstacle qu’ils n’ont encore franchi, représenté par la division politique de l’Europe qui impose que toute décision intéressant le niveau communautaire soit le fruit de longues et laborieuses négociations diplomatiques conduites au niveau inter-gouvernemental.
Les consultations intenses prises au niveau international entre le 2 et le 19 mars, jour de réouverture des marchés des changes, conduisaient, comme premier résultat, à la décision de faire flotter conjointement les monnaies européennes par rapport au dollar.
Cette solution, présentée par ses créateurs comme la réponse européenne à la crise du système monétaire international n’était approuvée cependant que par six pays membres de la C.E.E. ;[76] l’Italie et la Grande-Bretagne refusaient d’adhérer au projet et décidaient de laisser flotter librement leurs monnaies respectives ; d’autres voix s’élevaient pour dénoncer cet accord comme une solution illusoire à la crise monétaire.
En fait, à la décision de faire flotter conjointement les monnaies européennes, il faut reconnaître le mérite d’avoir rétabli une structure de parités fixes entre six pays européens ; de la sorte, elle a permis d’identifier une zone monétaire européenne.
Cette solution présente toutefois de très graves limites. Elle est extrêmement onéreuse pour les pays à structure économique moins forte dans le cas de mouvements divergents de la conjoncture des économies nationales. Le flottement conjoint des monnaies, en effet, en présence d’une situation économique qui tend à engendrer un déséquilibre de la balance des paiements a pour conséquence inévitable de subordonner les objectifs de stabilité et de développement du système économique national à l’objectif prioritaire du maintien de l’équilibre des comptes avec l’extérieur. C’est de cette manière qu’on peut justifier le refus de la Grande Bretagne et de l’Italie, qui en 1973 traversaient une phase de grave récession économique, de participer au flottement conjoint.[77]
En second lieu, il est prévisible que le flottement conjoint des monnaies européennes, s’il se prolongeait sur une longue période, établirait en Europe une « hiérarchie monétaire », dans le cadre de laquelle chaque monnaie occuperait une position en fonction de sa « stabilité » et en relation avec son utilisation dans le commerce international. Le flottement conjoint, en d’autres termes, est fatalement destiné à faire apparaître dans la longue période une monnaie dominante qui représenterait le point de repère du système et qui entraînerait dans son sillage, dans un sens ou dans un autre, toutes les monnaies européennes.
Ces observations montrent, par conséquent, que le flottement conjoint des monnaies européennes par rapport au dollar constitue une solution destinée à engendrer de graves tensions entre les pays membres de la C.E.E. ; en dernière analyse, il est inacceptable pour les pays les moins développés économiquement, dans la mesure où il leur imposerait la charge d’adapter leur propre politique économique aux conditions prévalant dans les pays économiquement les plus développés.[78]
La limite la plus grave de cette solution donnée par les pays européens à la crise monétaire doit, cependant, être recherchée dans sa précarité. N’importe quel accord de flottement conjoint de plusieurs monnaies conclu entre les pays membres de la Communauté européenne, est en effet voué à l’échec dans la mesure où, étant donné les inévitables divergences des taux de développement des différents pays participant à l’accord, il est prévisible, dans le moyen et le long terme, qu’il faudra réaligner les parités entre les monnaies flottant conjointement, en fonction des variations internes des niveaux des coûts et de la productivité. C’est en ce sens qu’il est légitime de considérer le flottement conjoint des monnaies comme une solution illusoire à la crise du système monétaire international.[79]
Le fait est que la seule réponse européenne à la crise du système monétaire international est, dans la situation actuelle, la création d’une monnaie européenne. Le flottement conjoint des monnaies européennes peut représenter une première étape d’un processus tendant à la création d’une monnaie européenne ; mais dans ce processus, du point de départ au point d’arrivée, il y a un saut qualitatif, c’est-à-dire le passage d’un système d’Etats nationaux souverains à un Etat européen. Comme l’a fort justement mis en lumière R. Ossola, une monnaie européenne ne pourra naître que le jour où il existera « une organisation politique de l’Europe, dont les aspects prédominants seraient l’élection d’une Constituante et d’un Parlement européen au suffrage direct, le choix d’un Président et d’un gouvernement européens, l’institution d’organes communautaires auxquels seraient transférées les responsabilités politiques nationales qui ont de l’importance pour l’intégration. (…) Si ce dessein est utopique, l’union économique et monétaire l’est aussi ».
Le rapport qui existe entre flottement conjoint et monnaie européenne est analogue au rapport existant entre politiques économiques coordonnées et politiques économiques unitaires. Dans les deux cas, nous nous trouvons en présence d’un saut qualitatif. Un processus de coordination implique la confrontation des différentes positions nationales, la négociation, le compromis entre les intérêts nationaux opposés recherché au niveau diplomatique ; les politiques unitaires peuvent au contraire se manifester seulement là où existe un cadre de formation de la volonté politique, et sont le fruit de la confrontation démocratique de plusieurs politiques possibles.
Cela signifie par conséquent, que le flottement conjoint des monnaies européennes indique dans quelle direction doivent être orientées les interventions, au niveau monétaire, des pays européens pour résoudre la crise du système monétaire international ; les observations formulées par ailleurs révèlent qu’une solution évolutive de la crise du système monétaire international peut, étant donné la situation actuelle, découler uniquement de la fondation d’un pouvoir démocratique au niveau européen et de la création d’une monnaie européenne.[80]
Ces conclusions mettent en lumière un aspect de la crise monétaire qu’il est opportun de reprendre avec plus de détails. S’il est vrai que tout système monétaire international est fonction des rapports économiques et politiques entretenus par les Etats qui y participent, il est évident qu’il est impossible de fonder un nouvel ordre monétaire international sans modifier la répartition du pouvoir dans le monde. C’est pour cette raison qu’une solution évolutive de la crise du système monétaire international est représentée, dans les conditions actuelles, par la création d’une monnaie européenne et par conséquent, d’un centre de pouvoir au niveau européen, dans la mesure où la naissance de la Fédération européenne réaliserait un ordre international plus stable et plus évolutif.
Ces observations peuvent être généralisées en affirmant que la solution de la crise monétaire internationale actuelle est un problème qui implique non seulement les rapports monétaires entre pays industrialisés, mais l’organisation économique et politique globale du monde.
L’humanité vit aujourd’hui une phase historique de transition, dans laquelle la période caractérisée par un équilibre international de type bipolaire étant définitivement close, ce qui est en question c’est une nouvelle organisation politique du système mondial des Etats. Dans cette situation, l’Europe est appelée à un choix historique entre la réalisation de son unité ou le maintien de sa division ; le problème monétaire est un des aspects de cette alternative. Si l’Europe est capable de s’unifier politiquement, elle pourra prétendre influer sur le développement et sur le progrès de l’humanité et contribuer à un ordre international supérieur ; si l’Europe au contraire n’est pas capable d’aller au delà de sa propre division, elle se fermera fatalement de plus en plus sur le domaine restreint que représentent ses problèmes et ses intérêts d’ordre régional.
Dans ce cadre, des choix partiels ne sont plus possibles ; quand est discutée l’organisation même du monde, les rapports monétaires, économiques et politiques tendent inévitablement à évoluer parallèlement selon une même logique.
Pour les Etats européens, face aux échéances imposées par la crise du système monétaire international et aux choix politiques fondamentaux qu’on ne peut plus différer, l’avertissement de Luigi Einaudi, aujourd’hui plus encore qu’il y a vingt ans, garde toute sa valeur :[81]
« D’ordinaire, dans la vie des nations, l’erreur de ne pas savoir saisir l’instant qui fuit est irréparable. La nécessité d’unifier l’Europe est évidente. Les Etats existants sont de la poussière sans substance. Aucun d’entre eux n’est en mesure de supporter le coût d’une défense autonome. Seule l’union peut les faire durer. Le problème n’est pas entre l’indépendance et l’union ; il est entre l’existence dans l’union ou la disparition. Les hésitations et les discordes des Etats italiens de la fin du quinzième siècle ont coûté aux Italiens leur indépendance pendant trois siècles ; et le temps de la décision, alors, dura peut-être l’espace de quelques mois. Le temps propice à l’union européenne est maintenant celui seulement pendant lequel durent en Europe occidentale les mêmes idéaux de liberté. Sommes-nous sûrs que les facteurs contraires aux idéaux de liberté ne prennent pas inopinément une force suffisant à empêcher l’union ; faisant tomber les uns dans l’orbite nord-américaine et les autres dans l’orbite russe ? Il existera encore un territoire italien ; il n’existera plus de nation, destinée à vivre comme unité spirituelle et morale seulement à la condition de renoncer à une absurde indépendance militaire et économique ».


[1] En proposant cette délimitation du champ d’investigation, nous sommes naturellement conscients de ne pas prendre les choses à leur origine : l’utilisation conjointe de l’or et de monnaies nationales comme moyens de paiements — et donc de réserve — internationaux remonte à la fin du XIXe siècle. Le fait est que l’étalon de change-or n’a pas vu le jour sur la base d’accords spécifiques conclus entre Etats, mais qu’il est le résultat d’une évolution historique qui plonge ses racines dans l’étalon-or lui-même.
[2] Voir J.H. Williams, Postwar Monetary Plans and Other Essays, New York, 1947.
[3] H.G. Grubel, International Monetary Reform: Plans and Issues, Oxford, 1963.
[4] J.M. Keynes, Proposals for an International Clearing Union, Cmnd 6434, H.M.S.O., 1943.
[5] C’est ainsi qu’il faut interpréter l’insertion par Keynes dans son plan des clauses tendant spécifiquement à éviter que le charge du réajustement des déséquilibres des balances des paiements retombe exclusivement sur le pays débiteur.
[6] Dans le plan Keynes était prévue, en outre, la possibilité pour les banques centrales de liquider les soldes directement en or, en renonçant à utiliser les services rendus par la clearing union.
[7] Il était prévu, en outre, afin de décourager l’endettement excessif à l’égard de la clearing union ou l’accumulation de bancors par les pays créditeurs, que les uns et les autres paieraient un intérêt croissant sur les créances et les dettes accumulées. Face à une expansion excessive de la liquidité, la clearing union aurait eu la faculté d’augmenter les charges supportées par les pays débiteurs et de diminuer les charges supportées par les pays créditeurs.
Le plan prévoyait l’intervention de la clearing union au cas où l’endettement des pays en déficit dépasserait certains seuils.
[8] A. Hamilton, J. Jay, J. Madison, The Federalist, éd. fr., Paris, 1957.
[9] L. Robbins, L’économie planifiée et l’ordre international, éd. fr., Paris, 1938, p. 238 et suiv.
[10] Dans ce sens, R. Masse, Les problèmes monétaires internationaux, Paris, 1969.
[11] Dans le cas de l’adoption du plan Keynes, en outre, ce financement aurait été illimité. L’union ne prévoyait pas de limite supérieure pour les soldes créditeurs; celle-ci était déterminée indirectement par la fixation d’un maximum pour les soldes débiteurs. Cette dernière limite était destinée à glisser dans le temps, parallèlement à l’augmentation du commerce international, dans la mesure où les allocations de bancors à chaque pays étaient fonction de sa participation, en termes absolus, au commerce international.
[12] Avec esprit, Joan Robinson note à ce propos que le plan White est aussi difficile à comprendre qu’une énigme policière.
[13] Il faut rappeler que, comme condition pour adhérer au Fonds, chaque pays aurait dû prendre des engagements précis en matière de taux de change, de maintien de la convertibilité et de libéralité des transactions courantes sur une base multilatérale.
[14] Ce projet fut publié en avril 1944 sous le nom de Joint Statement by Experts in the Establishment of an International Monetary Fund of the United and Associated Nations. Pour une analyse plus détaillée, voir S. Horie, The International Monetary Fund, Retrospect and Prospect, Londres, 1964.
[15] Voir dans ce sens R. Triffin, Europe and the Money Muddle, New Haven, 1957.
[16] Le surplus de la balance des paiements des Etats-Unis doit être imputé à plusieurs causes. A ce propos, il est essentiel de retenir le rythme de développement différent de l’économie américaine et des économies européennes pendant le conflit. Voir, R. De Mattia, « L’offerta e la domanda mondiale di dollari in questo dopoguerra »,Rivista di politica economica, juin 1958; G. Haberler, « Dollar Shortage », in : Saymour Harris, Economic Policy for the United States, Harvard, 1948.
[17] Le premier accord bilatéral fut signé en octobre 1943 par le gouvernement britannique et par les gouvernements en exil de Belgique, du Luxembourg et des Pays-Bas. Voir pour une analyse plus approfondie : R. Triffin, Europe and the Money Muddle, op. cit.
[18] Errezero, « Dal bilateralismo alla convertibilità nei paesi dell’O.E.C.E. », Moneta e credito, 2e trim. 1959.
[19] C. Bohlen, The Transformation of American Foreign Policy, New York, 1969.
[20] Clearing, suivant la terminologie anglo-saxonne.
[21] Ce crédit peut atteindre des dimensions importantes quand le paiement des soldes est effectué mensuellement, ou, plus encore, trimestriellement. Toutefois, il s’éteint complètement aussitôt que l’échéance technique est franchie.
[22] Dans ce cadre, la décision prise par de nombreux Etats européens, en 1949, de dévaluer leur monnaie par rapport au dollar occupe une place à part.
[23] A. Hansen, The Dollar and the International Monetary System, New York, 1965; en outre, R. De Mattia, « L’offerta e la domanda mondiale di dollari in questo dopoguerra », op. cit.
[24] R. Triffin, L’or et la crise du dollar, Paris, 1962;. du même auteur, voir en outre : The World Money Maze: National Currencies in International Payments, New Haven, 1966; Our International Monetary System: Yesterday, Today and Tomorrow, New York, 1968.
[25] Dans cette classification ne sont pas compris les projets d’introduction de taux de change flexibles. En effet, un système où toutes les monnaies seraient libres de flotter les unes par rapport aux autres ne pourrait pas survivre longtemps, exception faite de la possibilité d’un retour à une anarchie internationale absolue; en d’autres termes, il semble légitime d’affirmer que les inconvénients engendrés par un marché des changes où n’existe pas un point de repère fixe, susciteraient inévitablement des accords pour ancrer les rapports de change à une ou plusieurs monnaies-pivots, jugées plus stables.
Par ailleurs, il faut souligner que l’hypothèse de l’adoption de taux de change flexibles n’a jamais été prise en considération dans aucune négociation officielle relative à la réforme du système monétaire international. Dans les négociations, le flottement n’a été pris en considération qu’à titre de liaison entre grandes zones monétaires; il est clair, toutefois, que dans ce cas le problème crucial est représenté par la création des zones monétaires, non par la fluctuation des changes entre ces zones. Nous reviendrons sur ce problème dans les pages suivantes, en prenant en considération le problème du flottement conjoint des monnaies européennes par rapport au dollar.
Voir P. Baffi, « Considerazioni sui cambi fissi e flessibili », in : Divers, Studi sulla moneta, Milan, 1965; M. Friedman, The Case for Flexible Exchange Rates, Chicago, 1953; J.B. Williams, International Trade under Flexible Exchange Rates, Amsterdam, 1954; F. Lutz, « The Case for Flexible Exchange Rates », Banca Nazionale del LavoroQuarterly Review, déc. 1954; F. Machlup, « Sul problema di una maggiore flessibilità dei cambi: definizioni, teorie, strategie », Moneta e credito, mar. 1970.
[26] F. Machlup, Plans for Reform of the International System, Princeton, 1964; R. Aliber, The Management of the Dollar in International Finance, Princeton, 1964.
[27] Ces accords sont conclus sur une base bilatérale; le réseau d’accords swap qui lient les principaux pays industrialisés est cependant si serré, qu’il représente en fait un système de facilités de crédit sur une base multilatérale.
[28] Il faut rappeler en outre les accords passés par les principales banques centrales pour coordonner leurs interventions sur le marché de l’or de Londres. Ces accords, qui constituent ce qu’on appelle le pool de l’or, ont été en vigueur de 1961 à 1968.
[29] Ces obligations sont connues aussi sous le nom de « Roosa bonds », du nom du secrétaire au Trésor américain qui les a imaginés.
[30] Les ventes d’obligations Roosa ont atteint leur plafond en 1965, puis ont diminué les années suivantes. Voir R.V. Roosa, Monetary Reform for the World Economy, Washington, 1965.
[31] X. Zolotas, « The Problem of the International Monetary Liquidity », Bank of Greece Papers and Lectures, n. 6, Athènes, 1961; X. Zolotas, « Towards a Reinforced Gold Exchange Standard », Bank of Greece Papers and Lectures, n. 7, Athènes, 1961; R. Maudling, in : International Monetary Fund, Summary Proceedings, 17th Annual Meeting of the Board of Governors, 1962; E. Bernstein, « The Problem of International Monetary Reserves », Statement in : International Payments Imbalances and Need for Strengthening International Financial Arrangements, Hearings before the Subcommittee on International Exchange and Payments, Washington, 1961; P. Jacobson, in : International Monetary Fund, Summary Proceedings, 16th Annual Meeting of the Board of Governors, 1961.
[32] Ces plans diffèrent entre eux seulement sur quelques détails, qui reflètent les différentes modalités de recherche d’un compromis entre le point de vue américain et celui des banques centrales européennes. Fondamentalement, ils assignent au F.M.I. la fonction d’intermédiaire et de garant de ces interventions de stabilisation; autrement dit, ils ne prévoient aucune modification substantielle des fonctions du F.M.I., ni la possibilité pour le Fonds de créer du crédit. Voir dans ce sens : A. Hansen, The Dollar and International Monetary System, op. cit.; H.G. Grubel, World Monetary reform, Stanford, 1965.
[33] S. Posthuma, « The International Monetary System », Banca Nazionale del LavoroQuarterly Review, sept. 1963;. S. Posthuma, « Problemi strutturali dei pagamenti internazionali », Bancaria, avril 1964.
[34] Cette disposition aurait impliqué, typiquement, un accroissement de la demande de dollars de la part des banques centrales des pays européens.
[35] En effet, le plan Posthuma, après avoir été l’objet d’un long débat international entre 1963 et 1965, fut définitivement abandonné.
[36] A cette fin, le plan Posthuma supposait la réalisation d’« un système de garanties qui devraient s’appliquer, dans des conditions de réciprocité, à toute possession conventionnelle de devises étrangères par les banques centrales ». (S. Posthuma, « The International Monetary System », op. cit., p. 15). Voir à ce propos les observations formulées au sujet des propositions avancées par Hansen.
[37] A. Hansen, The Dollar and the International Monetary System, op. cit.; des propositions analogues ont été avancées aussi par G. Haberler, « The State and Prospects of the American Economy », Lloyds Bank Review, 1961.
[38] A. Hansen, ibidem.
[39] Des observations analogues peuvent être répétées à propos du schéma de répartition des risques formulé par E. Lolli dans un Hearing devant le Joint Economic Committee (The U.S. Balance of Payments, Washington, 1963).
[40] Parmi les nombreuses propositions dans ce sens, voir : S. Harris, The Dollar in Crisis, New York, 1962.
[41] Le recours au crédit accordé par un organisme international ou par un autre Etat ne se différencie pas des deux autres possibilités considérées plus haut, du point de vue des contraintes qu’il impose à la politique économique intérieure.
[42] Dans l’abstrait, il est possible d’affirmer que, conjointement, les choix accomplis par les autres pays auraient pu avoir une influence importante sur la possibilité pour les Etats-Unis d’étendre discrétionnairement leur endettement à court terme ; en réalité, cependant, il est difficile de supposer une situation dans laquelle ces choix eussent pu être coordonnées. Il s’ensuit que les réactions possibles de chaque pays étaient destinées, fatalement, à être annihilées ; l’expérience nous a démontré, par ailleurs, que le choix accompli par quelques pays de la conversion en or de leurs disponibilités en dollar ne les a pas soustraits aux effets inflationnistes de leurs surplus, dans la mesure où ceux-ci sont alimentés par les déficits de la balance des paiements américaine financés par les autres pays de la communauté internationale avec l’augmentation de leurs réserves en dollars.
[43] Rappelons à ce propos la célèbre conférence de presse prononcée le 4 fevrier 1965 par le général de Gaulle, alors président de la République française.
Une interprétation symétriquement opposée nous est fournie par Despres, Kindleberger et Salant. Ces trois économistes ont formulé l’interprétation suivant laquelle le déficit de la balance des paiements américaine n’est pas le fruit d’un déséquilibre, mais reflète la fonction d’intermédiaire financier remplie au niveau mondial par les Etats-Unis, qui ont accordé aux pays du monde entier des crédits à long terme et, en contrepartie, ont encouru des dettes à court terme. Les récents développements de la crise monétaire internationale ont cependant mis en lumière l’extrême fragilité de cette interprétation. Voir : E. Despres, C. Klindleberger, W. Salant, « The Dollar and World Liquidity. A Minority View », The Economist, n. 6389, 1966.
[44] J. Rueff, L’âge de l’inflation, Paris, 1963 ; J. Rueff, Le lancinant problème des balances des paiements, Paris, 1965 ; W. Heilperin, « The Case for Going Back to Gold », Fortune, sept. 1962 ; W. Heilperin, « L’oro, base di un ordine monetario internazionale », Bancaria, n. 7, juillet 1962.
[45] Cela aurait été rendu possible par le fait que les réserves d’or des Etats-Unis, une fois réévaluées, auraient garanti la convertibilité en or du dollar.
[46] Il est difficile de concevoir un plan prévoyant une série de réévaluations périodiques de l’or, dans la mesure où, de la sorte, la stabilité du système ferait défaut. Cet aspect du problème du retour à un régime d’étalon-or a été au centre d’un débat, auquel les contributions les plus significatives ont été celles de R. Harrod, « The Role of Gold Today », The South African Journal of Economics, mars 1958 ; R. Harrod, « Europe and the Money Muddle », Economic Journal, sept. 1958 ; R. Harrod, « A plan for Increasing Liquidity : a Critique », Economica, mai 1961 ; F. Machlup, « Comments on the Balance of Payments and Proposal to Reduce the Price of Gold », The Journal of Finance, n. 2, 1961; L. Hahn, « Anachronism of the Gold Price Controversy », The Commercial and Financial Chronicle, mars 1963 ; voir en outre : M. Kriz, The Price of Gold, Princeton, 1952 ; R. Hinshaw, The Price of Gold, Baltimore, 1967.
[47] En outre, des doutes légitimes peuvent être nourris sur la possibilité de fonctionnement de l’étalon-or dans un contexte profondément différent de celui où le régime métallique s’était développé ; au XIXe siècle, les règles mécanistes de l’étalon-or pouvaient jouer efficacement dans la mesure où l’économie — et en particulier le système des prix et des salaires — présentait une structure beaucoup plus flexible qu’aujourd’hui.
[48] C’est en ce sens qu’il est possible d’affirmer que l’hypothèse du retour à l’or reproduit l’absence totale de confiance dans un monde politiquement divisé en unités indépendantes (A. Iozzo, A. Mosconi, « Pour un système européen de réserve », Le Fédéraliste, XIe année, numéro 2, 1969).
[49] R. Triffin, L’or et la crise du dollar, Paris, 1962 ; M. Stamp, « The Stamp Plan », in : H.G. Grubel, World Monetary Reform, op. cit. ; J.W. Angell, « The Reorganization of the International Monetary System. An Alternative Proposal », in : H.G. Grubel, op. cit. ; R. Harrod, Reforming the World’s Money, New York, 1965 ; appartient aussi, dans une certaine mesure, à ce groupe de projets, la contribution de E. Bernstein, « Proposed Reform in the International Monetary System », in : H.G. Grubel, op. cit.
Ces plans diffèrent entre eux surtout dans la mesure où ils limitent diversement les prérogatives de l’organisme (F.M.I.) qui centralise les réserves.
[50] F. Machlup, Plans for Reform of the International Monetary System, op. cit.
[51] La première proposition cohérente et complète d’institution des D.T.S., au niveau officiel, est contenue dans le Rapport Ossola d’août 1965. A ce document fit suite en juillet 1966 un rapport élaboré par le Groupe des Suppléants, présidé par O. Emminger, qui devait constituer la base des négociations ultérieures, conclues par l’accord de Rio de Janeiro de septembre 1967 qui institua les D.T.S., entrés en vigueur le 1.1.1970.
[52] La création d’un nouveau moyen de paiement est contenue dans les projets élaborés par Bernstein, par De Lattre, par Harrod, par Maudling, par Stamp, par Posthuma, par Roosa et par d’autres économistes encore. Voir les textes de ces auteurs déjà cités dans les pages précédentes.
[53] Ce phénomène était déterminé par deux causes fondamentales ; d’un côté la réduction des réserves d’or nationales au cours des deux dernières années de fonctionnement de ce qu’on appelait le pool de l’or, aggravée par le fait qu’après l’instauration du double marché de l’or en 1968, la plus grande partie de l’or nouvellement produit a été absorbée par le secteur privé à des cours supérieurs au prix officiel de 35 dollars l’once ; par ailleurs, la diminution du déficit de la balance des paiements des Etats-Unis amorcée en 1965 et poursuivie jusqu’en 1969.
[54] L’usage fait des D.T.S. par les Etats-Unis est typique dans ce sens.
[55] Il faut préciser, toutefois, que chaque pays doit maintenir un certain « solde minimum moyen » ; cette règle est prévue pour éviter qu’un pays utilise dans leur totalité les D.T.S. dont il dispose dans la mesure où il les considère comme un instrument de réserve de qualité inférieure aux autres — or et dollars.
La règle suivant laquelle les Etats membres doivent s’abstenir d’utiliser les D.T.S. pour le seul but de modifier la structure de leurs réserves tend au même résultat ; pour garantir le respect de cette règle, des pouvoirs, limités, de sanction ont été attribués au F.M.I.
[56] Le F.M.I. est responsable de l’orientation des D.T.S., quand ceux-ci ne sont pas utilisés par accord direct entre deux banques centrales, vers les pays à balance des paiements excédentaire ou à réserves de change particulièrement élevées, de manière à maintenir un rapport tendanciellement égal entre les D.T.S. accumulés et les réserves de change totales pour tous les pays excédentaires.
[57] « L’institution des Droits de Tirage Spéciaux semblait avoir ouvert la voie à la rationalisation de l’organisation monétaire internationale, mais au long de cette voie s’accumulent des obstacles à cause de l’impossibilité de contrôler les comptes extérieurs des Etats-Unis et les mécanismes internationaux de création de monnaie mis en œuvre, surtout en Europe, par les filiales étrangères de banques américaines et par les banques européennes » (Banque d’Italie, Rapport annuel, Conclusions finales, Rome, 1971).
[58] Voir R. Triffin, Europe and the Money Muddle, op. cit., p. 280-294 et passim.
[59] R.A. Mundell, « A Theory of Optimum Currency Areas », American Economic Review, nov. 1961 ; R. McKinnon, « Optimum Currency Areas », American Economic Review, sept. 1963 ; R. McKinnon, « Optimum World Monetary Arrangements and the Dual Currency System », Banca Nazionale del LavoroQuarterly Review, déc. 1963 ; R. Mundell, A. Swoboda, Monetary Problems of the International Economy, Chicago, 1969 ; D.A. Snider, Optimum Adjustment Processes and Currency Areas, Princeton, 1967 ; P. Jay, « Conditions for a Common European Currency », International Currency Review, janv. 1970 ; G.N. Halm, Approaches to Greater Flexibility of Exchange Rates, Princeton, 1970 ; H. Johnson, A. Swoboda, The Economics of Common Currencies, Londres, 1973 ; il faut, en outre rappeler la contribution fondamentale de T. Scitovsky, Economic Theory and Western European Integration, Londres, 1962.
[60] Dans ce sens, R. Mundell, « A Plan for a European Currency », in : H. Johnson, A. Swoboda, The Economics of Common Currencies, op. cit.
[61] En réalité, l’analyse devrait prendre en considération un cadre plus vaste. Le degré de développement de l’intégration européenne impose, comme condition de son progrès, d’aborder non seulement les problèmes monétaires, mais aussi des problèmes économiques, politico-économiques, et, en dernière analyse, institutionnels. Il suffit à ce propos de mentionner le problème de l’harmonisation des politiques économiques nationales et de la mise en œuvre d’une politique unitaire, au niveau européen, à l’égard des zones sous-développées, de la recherche scientifique etc. Une analyse d’une telle ampleur va au delà des intentions poursuivies ici.
[62] Ce phénomène, en particulier, a été aggravé par le développement du marché de l’euro-dollar et du marché des euro-émissions.
[63] Rapport Werner au Conseil et à la Commission sur la réalisation par phases de l’Union économique et monétaire de la Communauté, Luxembourg, 8 octobre 1970.
[64] Le plan Werner a été précédé de quelques propositions d’importance considérable élaborées dans le cadre des organismes communautaires. Rappelons en particulier le « Mémorandum sur la coordination des politiques économiques et la coopération monétaire dans le cadre de la Communauté » publié en février 1969 et plus connu sous le nom de plan Barre.
[65] R. Triffin, « Sur la création d’un Fonds européen de réserve », Moneta e credito, mars 1970 ; la proposition de Triffin peut être retenue dans le cadre du plan Werner. Comme l’affirme Triffin lui-même, « au cours de cette période de transition (qui conduira à la pleine réalisation du plan Werner), il conviendra pour le moins de séparer les variations des taux de change à l’intérieur de la C.E.E. des variations par rapport au dollar résultant du refus d’un financement illimité — et à la longue inacceptable — des déficits des Etats-Unis. La création d’un Fonds européen de réserve serait l’instrument le plus adéquat d’une telle politique. Il déterminerait, par accord réciproque, le volume global des interventions de change de la Communauté sur le marché du dollar, assurerait une gestion concertée des ressources monétaires globales des pays membres et développerait graduellement les instruments indispensables d’une politique monétaire commune, ouvrant ainsi la voie à la création finale d’un système européen de réserve fédéral » (R. Triffin, Our International Monetary System : Yesterday, Today and Tomorrow, New York, 1968).
[66] R. Triffin, Europe and the Money Muddle, op. cit., p. 290.
[67] Iozzo et Mosconi écrivent à ce propos : « La politique monétaire est (…) aujourd’hui l’un des principaux instruments de la politique économique ; elle est l’un des pivots, et peut-être le principal, des interventions conjoncturelles ; elle influence profondément les décisions faisant partie d’une programmation économique et elle assume une importance notable jusque dans la politique étrangère d’un Etat. (…) Si la gestion de la politique monétaire comporte des pouvoirs aussi étendus, on ne peut évidemment pas concevoir le transfert d’attributions, qui mettent en jeu les perspectives économiques et sociales de plusieurs millions de citoyens, à un organisme technocratique échappant à tout contrôle populaire et par cela même à rester étranger à la réalité sociale dans laquelle il est censé agir. (…) Le renforcement de la coopération monétaire (…) et l’institution d’organismes politiques communs ne sont pas, en Europe, deux étapes du processus d’intégration, mais deux aspects différents de ce phénomène puisqu’il est impensable pour les Etats actuels d’abandonner leur souveraineté dans le domaine monétaire sans que ne soit d’abord dépassée leur souveraineté dans le domaine politique » (A. Iozzo, A. Mosconi, « Pour un système européen de réserve », op. cit., p. 77).
[68] Dans cette période, l’élément de crise le plus grave a été constitué par la faiblesse de la livre sterling. La monnaie anglaise, bien que soutenue par d’importantes aides internationales, a été dévaluée au bout du compte en novembre 1967 de 14,29%.
[69] Exception de la dévaluation du franc français en 1958, imputable à des événements tout à fait exceptionnels ; en 1961, on avait, en outre, assisté à une modeste réévaluation du mark et du florin néerlandais.
[70] Un parallélisme substantiel des mouvements conjoncturels s’est manifesté entre les pays membres de la C.E.E. surtout dans les dix premières années d’existence du Marché commun. Les phénomènes inflationnistes qui s’étaient développés en Italie en 1963-64 avaient été promptement réabsorbés, comme ceux qui s’étaient développés aux Pays-Bas en 1962-63 ; ainsi même la récession subie par l’Allemagne en 1966-67, à cause de sa brièveté, n’a pas eu de répercussions sensibles sur la balance allemande des paiements.
[71] La France, qui décida de maintenir la parité antérieure du franc par rapport au dollar, fut l’exception. Pour atteindre cet objectif, la France institua un double marché des changes et introduisit de sévères restrictions sur les mouvements de capitaux.
Il faut rappeler en outre que les pays du Benelux décidèrent de faire flotter conjointement leurs monnaies et s’engagèrent à maintenir, entre les trois monnaies nationales, les écart au-dessus ou au-dessous de la parité dans une limite maximale de 1,5%.
[72] En réalité, le dollar a été dévalué par rapport aux D.T.S.. Du moment que ces derniers, toutefois, ont une parité or, en fait la dévaluation du dollar est intervenue par rapport à l’or.
[73] En effet, à ce qu’il appert des prises de positions officielles des représentants nationaux qui avaient participé aux négociations, l’accord de Washington représentait, dans la conscience des parties la seule solution provisoire possible, dans l’impossibilité où elles étaient de trouver à bref terme une solution pour une réforme radicale du système monétaire.
[74] En réalité la majeure partie des opérations effectuées sur ces marchés parallèles n’a pas une nature spéculative ; toutefois, les dimensions atteintes par ces marchés sont telles qu’une fraction modeste — à caractère spéculatif — des mouvements de capitaux qu’ils réalisent est suffisante engendrer de graves déséquilibres monétaires au niveau international. Retenons en outre les possibilités pour les entreprises multinationales d’effectuer, par leurs opérations, des déplacements de capitaux de montant important avec une grande latitude ; ces mouvements de capitaux ne sont pas nécessairement réalisés sur les marchés parallèles.
[75] R. Triffin, « The Myth and Realities of the so-called Gold Standard », International Finance, édité par N.R. Cooper, Londres, 1964 ;, M. De Cecco, Economia e finanza internazionale dal 1890 al 1914, Bari, 1971.
[76] Sur la base de cet accord, l’Allemagne fédérale, la France, les Pays-Bas, la Belgique, le Luxembourg et le Danemark se sont engagés à respecter des marges de fluctuation entre leurs monnaies de 2,25% en plus ou en moins par rapport à la parité officielle. Simultanément, ces six monnaies peuvent s’apprécier ou se déprécier par rapport aux autres monnaies, typiquement par rapport au dollar. A cet accord ont adhéré en outre la Suisse et la Norvège.
[77] Considérons, par exemple, le cas italien. En mars 1973, la majorité des pays européens connaissaient un rythme d’expansion élevé et les « monnaies fortes » en Europe tendaient à être réévaluées, tandis que l’Italie traversait une période de grave récession et la lire tendait à être dévaluée. C’est dans cette situation que le flottement de la lire parallèlement aux autres monnaies européennes aurait imposé à la Banque d’Italie d’intervenir sur les marchés des changes pour soutenir la lire, avec pour conséquence d’appauvrir les réserves de change italiennes, de diminuer la compétitivité internationale des industries italiennes et, par suite, de soumettre l’économie nationale à une pression déflationniste qui n’était assurément pas justifiée par la situation de récession de l’économie italienne.
[78] Il est évident que dans ce cadre les déséquilibres régionaux seraient inévitablement destinés à s’aggraver et, plus généralement, toutes les interventions de réforme économique et sociale se heurteraient aux plus grandes difficultés, spécialement dans les pays les moins développés.
[79] En effet, à quelques mois de son institution, le « serpent communautaire » a déjà subi une première défection, sous la forme de la réévaluation du mark au début de l’été 1973. La mécanique de cette crise est simple : le renforcement du mark a entraîné le serpent communautaire vers la réévaluation ; le marché a estimé que les autres monnaies flottant avec le mark n’auraient pas pu suivre la monnaie allemande dans sa marche à la réévaluation et, par suite, une masse importante de capitaux spéculatifs s’est déversée sur le marché allemand.
[80] Du point de vue technique, en vérité, l’union monétaire européenne ne doit pas nécessairement s’exprimer par la naissance d’une monnaie européenne. Deux solutions sont possibles : on peut avoir un système dans lequel les monnaies nationales continuent d’exister sous leur dénomination actuelle, mais sont liées entre elles par des taux de change fixes et irrévocables, et librement convertibles ; ou bien on peut avoir une monnaie européenne unique.
Du point de vue technique, les deux solutions sont équivalentes ; du point de vue politique, toutefois, elles diffèrent : la création d’une monnaie européenne constituerait le symbole de l’existence d’un pouvoir au niveau européen et contribuerait à accroître le loyalisme des à l’égard de ce dernier.
[81] L. Einaudi, « Sul tempo della ratifica della C.E.D. », in : Lo Scrittoio del Presidente, Turin, 1959.

 

il federalista logo trasparente

The Federalist / Le Fédéraliste / Il Federalista
Via Villa Glori, 8
I-27100 Pavia