LE FEDERALISTE

revue de politique

 

V année, 1963, Numéro 4, Page 294

 

 

L’ENSEIGNEMENT DES REVELATIONS CHINOISES
SUR LA REVOLUTION HONGROISE
 
 
Quand on essaie d’examiner les conséquences probables de la constitution d’une Fédération des Etats européens occidentaux et que l’on affirme qu’elle exercerait une puissante force d’attraction à l’égard des pays de l’Est européen, on trouve immédiatement quelqu’un pour objecter que le joug exercé par l’Union Soviétique sur ces pays empêcherait tout élargissement pacifique de la Fédération vers l’Orient. Cette objection se fonde sur l’idée que le contrôle soviétique sur les Etats de l’Europe orientale est très rigide, au point que l’Union Soviétique serait disposée, à n’importe quel moment (que la Fédération européenne existe ou non), à intervenir militairement plutôt que de perdre le dit contrôle sur l’un ou l’autre de ces Etats.
Ceux qui raisonnent de la sorte commettent deux erreurs, une erreur logique et une erreur de fait. L’erreur logique consiste à transporter mentalement sans modifications l’actuelle situation de pouvoir de l’Est européen dans le cadre général des rapports internationaux européens tel qu’il apparaîtrait après la fondation de la Fédération des Etats de l’Europe occidentale, comme si l’existence de cette Fédération ne devait impliquer aucune altération de la situation de pouvoir relative à l’Est européen. La vérité est, au contraire, que la constitution d’une Fédération dans l’Europe occidentale changerait de façon remarquable la situation des pays de l’Europe orientale. La substitution par un formidable centre de pouvoir démocratique et fédéral du vide relatif de pouvoir que l’on observe aujourd’hui à l’Ouest aura des conséquences d’une grande portée : d’un côté l’Union Soviétique perdra une part considérable de sa liberté d’action sur les pays de l’Est européen puisqu’elle devra toujours tenir compte des réactions de la Fédération européenne à chacun de ses actes ; d’autre part, dans les pays d’Europe orientale disparaîtra la peur (basée sur les précédents historiques et continuellement alimentée par la propagande communiste) d’un grand Etat national allemand. Dans cette situation les pays d’Europe orientale acquerront une liberté de jeu bien supérieure à celle dont ils jouissent actuellement. Dans la vie politique intérieure, les échafaudages politiques les plus artificiellement imposés par l’étranger tomberont, l’équilibre réel de la société et les convictions de l’opinion publique trouveront leur expression dans une voie évoluant toujours plus nettement dans le sens démocratique ; en ce qui concerne les relations internationales les rapports. avec la Fédération européenne s’élargiront de façon substantielle dans le domaine économique et dans tous les autres domaines. L’énorme attraction de l’économie évoluée et ouverte de l’Europe occidentale et la force puissante des idéaux et des traditions communs aux pays de l’Europe deviendront peu à peu tels qu’ils rendront hautement probable l’adhésion des pays d’Europe orientale à la Fédération européenne.
Ceci est encore plus vraisemblable si l’on corrige également l’autre erreur, l’erreur de fait, implicite dans le raisonnement de ceux qui considèrent comme impossible l’adhésion des pays de l’Est européen à la Fédération. Cette erreur est due au fait que l’on surestime considérablement la possibilité de contrôle et d’intervention de l’Union Soviétique à l’égard des pays orientaux. La liberté d’action relative que quelques-uns de ces pays ont à l’égard de la Russie est bien connue, comme sont bien connues les divergences de plus en plus grandes qui ont surgi entre certains Etats d’Europe orientale et l’Union Soviétique, à propos de la fonction du Comecon et des directives à adopter au sein de cette organisme. Mais les récentes révélations chinoises sur la façon dont on a abouti à la décision d’une intervention militaire en Hongrie en 1956 sont encore plus symptomatiques quant aux possibilités soviétiques réelles de contrôle sur l’Europe orientale. Dans Le Monde du 8-9 septembre, Thomas Schreiber rapporte ce qui suit : « Le dernier article-fleuve du Quotidien du peuple accuse notamment les dirigeants du P.C. soviétique d’avoir envisagé, lors des événements hongrois d’octobre 1956, de capituler devant les insurgés, et c’est grâce à l’ “intervention chinoise” que la situation en Hongrie aurait été redressée par l’emploi de la méthode forte.
Rappelons que, quelques jours après l’éclatement de l’insurrection, deux émissaires du Kremlin arrivèrent à Budapest. Certes, on ne connaît pas le contenu exact des pourparlers soviéto-hongrois, mais c’est après le départ de MM. Mikoyan et Souslov (le 26 octobre dans l’après-midi) que les dirigeants staliniens du P.C. hongrois — notamment Ernoe Geroe — disparurent du siège du comité central, pour laisser la place à Imre Nagy.
Trois jours plus tard MM. Mikoyan et Souslov réapparurent à Budapest, porteurs de la fameuse déclaration du gouvernement soviétique, publiée le lendemain dans, la Pravda, et dans laquelle Moscou reconnaissait que “certaines irrégularités” commises avaient diminué “le principe de l’égalité entre, pays socialistes”. Un autre passage de ce document affirmait que les rapports entre pays socialistes doivent se fonder “sur le principe d’une pleine indépendance nationale et de l’égalité”. En outre, le gouvernement soviétique, par la voix de ses deux émissaires, se déclarait d’accord pour retirer immédiatement toutes les troupes soviétiques de Budapest et prêt à négocier le retrait des forces stationnées en province. En effet, le 30 octobre, les dernières unités soviétiques quittèrent la capitale. Ajoutons à cela que, d’après certains témoins, MM. Mikoyan et Souslov, demeurés à Budapest jusqu’au 31 octobre, autorisèrent même l’abolition du système du parti unique. C’est la raison pour laquelle le gouvernement Nagy était revenu en arrière, avec d’ailleurs l’accord de M. Janos Kadar, déjà premier secrétaire du P.C. en pleine réorganisation.
Le gouvernement de Pékin publia le 1er novembre une longue déclaration, approuvant les termes de la déclaration soviétique du 30 octobre (…). Par contre, dès le lendemain de la seconde intervention soviétique, le quotidien du P.C. chinois proclamait le 5 novembre que “les soldats soviétiques écrasaient en Hongrie la contre-révolution fasciste”.
Il semble probable que certains dirigeants chinois ont pris contact à partir du 2 novembre 1956 avec leurs amis moscovites, appartenant aux “durs” du bureau politique, comme MM. Molotov ou Kaganovitch, opposés à la politique de M. “K”. A partir de cette date, l’ampleur des événements de Budapest semblait, en effet, fournir la preuve pour Pékin que ce sont les staliniens qui avaient raison et non pas M. Khrouchtchev, partisan de la déstalinisation… ».
Donc, en 1956, dut avoir lieu une exténuante lutte intérieure au sein du groupe dirigeant soviétique (et avec l’intervention chinoise) pour que l’Union Soviétique en arrivât à décider de suffoquer par les armes l’insurrection hongroise. Que le lecteur se demande un instant si, en présence d’une puissante Fédération européenne à l’occident, les leaders soviétiques en seraient arrivés à une telle décision ! L’insurrection hongroise n’aurait alors pas éclaté dans le vide international mais elle aurait été soutenue par le formidable appui objectif constitué par la présence de la forte démocratie fédérale en Europe occidentale. La meilleure politique soviétique aurait été, non plus d’intervenir militairement, mais de sauver ce qui aurait encore pu l’être et d’éviter que quelque fausse manœuvre ne conduise à un déplacement définitif de la Hongrie vers l’orbite de la Fédération européenne. Selon toute probabilité, le résultat aurait été la formation en Hongrie d’un régime politique non engagé, ni avec l’Union Soviétique, ni avec la Fédération européenne. Mais ceci n’aurait vraisemblablement représenté que le premier pas d’un processus (de plus ou moins longue durée) vers l’adhésion hongroise à la Fédération.
 
Mario Stoppino

 

 

 

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