LE FEDERALISTE

revue de politique

Espérer le maintien de l’harmonie entre plusieurs Etats indépendants et voisins, ce serait perdre de vue le cours uniforme des événements humains et aller contre l’experience des siécles.

Hamilton, The Federalist

 

VII année, 1965, Numéro 2, Page 138

 

 

Bernard Voyenne, Histoire de l’idée européenne, Paris, Payot, 1964.

 

 

« L’idée d’Europe ne doit que peu de chose à la géographie : ce serait plutôt à la géographie d’être sa servante, selon le temps et les circonstances. L’idée, c’est-a-dire la raison supérieure d’un processus historique, son principe et sa fin, où est-elle ailleurs que dans la volonté, obscure ou clairvoyante, tenace ou fragile, libre ou nécessaire, des hommes qui l’ont formée ? C’est la conscience des Européens. Elle ne s’est pas faite en un jour, ni même en mille ans. Elle s’est défaite souvent. Toujours elle a resurgi. Mais non pas sous les mêmes formes, ni selon la même dimension. Avec, au contraire, des alternances d’expansion et de contradiction, de générosité et de sécheresse, selon le rythme même de la vie.
L’Europe n’a pas de frontières mais elle a un visage, et personne ne s’y trompera. Il ne faut pas craindre d’ajouter — malgré l’abus qu’on a fait de cette image — qu’elle a une âme. C’est là son trésor imprenable, et la source de sa force. Tout le reste est apparence et vêtement. Non point accessoire, d’ailleurs, ni indifférent. Ici le vêtement tient à la chair et l’apparence est l’être même. L’idée n’existe que si elle s’incarne dans une réalité qu’elle transcende et dont, pourtant, elle ne peut se passer. Inversement, elle est immanente à ce réel, elle s’en dégage peu à peu comme le fruit de la graine. Cette dialectique préside aux noces mystérieuses de la pensée et de l’action qui ont engendré notre civilisation.
Une civilisation, c’est ce qui a conscience d’exister comme un tout distinct. Et cette conscience est une culture. L’Europe n’est que cela, mais peut-on imaginer mieux ? Dans cette perspective, les misérables discussions sur des bornages font sourire. L’Europe est à qui veut la prendre. Elle est déjà, tout entière, dans la communauté panhellénique, minuscule et géniale. Elle est encore dans le monde romain, bien qu’il déborde sur l’Afrique et sur l’Asie. Elle est — suprêmement — dans le christianisme qui pourtant n’a pas de patrie. L’Europe est partie d’une ville, ou de deux. Aujourd’hui encore, elle ne subsiste, elle n’existe, que selon le degré de liberté et d’humanité qu’il y a dans la moindre de nos cités. Mais cette Europe ne s’arrêtera qu’aux limites mêmes de la planète. Pendant des siècles, elle s’est pensée sous la forme d’un bienheureux malentendu. Se disant l’Europe elle se croyait le monde, ou du moins le monde humanisé : Romania ou chrétienté, le concept est le même. Mahomet, puis Colomb, la tireront de ce rêve. Elle découvrira sa différence ; elle se durcira parfois. Mais la passion de l’universel ne la quittera point. Elle ne cessera de légiférer pour la terre entière ».
Nous avons tiré, cette longue citation de l’avant-propos du volume parce que rien ne pouvait mieux illustrer l’idée-guide qui a conduit Voyenne à concevoir cette histoire de l’idée européenne. Elle s’articule en quatre parties : l’Europe œcuménique, l’Europe cosmopolite, l’Europe des nationalités et l’Europe en marche. Cette idée, née dans le monde de la Grèce antique, se développe dans le monde romain, dans la chrétienté médiévale, dans la civilisation de la Renaissance et, à travers l’illuminisme, le romantisme, l’ère des nationalismes, se poursuit jusqu’aux grandes catastrophes des deux dernières guerres mondiales. Mais là, au lieu de se dissoudre, elle trouve au contraire les conditions nécessaires pour poser dans tout son dramatisme le choix entre « s’unir ou mourir ». La dernière partie du livre illustre l’histoire des étapes de l’unification européenne dans le second après-guerre et donne sa juste place au rôle joué par les diverses forces qui se sont battues, à leurs victoires et à leurs défaites, toutes également importantes en ce qui concerne la maturation de la conscience européenne. La clarté du plan et la richesse de la documentation, qui permettent à l’auteur de rassembler autour de l’idée européenne les noms les plus significatifs de la culture européenne et mondiale, font de ce livre une excellente introduction au problème de l’idée européenne.
 
Luigi V. Majocchi

 

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