LE FEDERALISTE

revue de politique

 

VIII année, 1966, Numéro 1, Page 44

 

 

Le recensement volontaire du peuple fédéral européen
 
 
LE PROBLEME FONDAMENTAL DU MOUVEMENT
Deux observations préliminaires concernent, l’une, le M.F.E. et les mouvements européistes, l’autre, la population.
1) Il y a beaucoup de personnes comme nous qui croient non seulement à l’Europe, mais aussi à la nécessité de s’engager personnellement pour contribuer à son unification, mais ces personnes, après s’être réunies, après avoir fondé un petit comité, et une section si elles trouvent quelques adhérents, ne savent que faire parce que les conférences, les appels aux autorités, et toute autre action ordinaire, ne donnent pas de résultats appréciables, ne modifient pas les forces en présence.
2) Une grande partie de la population est pour l’Europe, ou le devient facilement si l’on pose le problème, mais n’a aucun moyen pour exprimer efficacement son sentiment européen et pour l’affirmer par la force du nombre. Il est vrai qu’on trouve souvent dans les partis et même dans les gouvernements des hommes favorables à l’Europe. Mais ce n’est pas suffisant. En se réunissant autour d’eux, en votant pour eux, etc., on associe l’Europe à la politique nationale et à ses divisions, on met en évidence la situation des partis plus que celle de l’Europe et on ne permet pas à la population de manifester directement sa vocation européenne.
Ainsi, d’un côté, le, M.F.E. reste faible, parce que le manque de résultats pratiques décourage les dirigeants locaux et n’en attire pas de nouveaux ; de l’autre, la force européenne, qui virtuellement est majoritaire ne se manifeste pas du tout. Pour renverser cette situation une action de base est nécessaire, à laquelle tous les citoyens pourraient participer, une action qui remplirait pour le M.F.E. une fonction analogue à celle des élections pour les partis, des négociations et des grèves pour les syndicats, etc.
 
LA CONSTRUCTION D’UN CADRE EUROPEEN DE LUTTE POLITIQUE
La première idée qui vient à l’esprit à ce propos, est de transformer le M.F.E. en un parti et de participer aux élections nationales. Mais, de cette manière, le M.F.E. contribuerait à diviser les citoyens d’un pays, tandis que sa fonction est de préparer la plate-forme pour l’unité, non seulement de tous les citoyens d’un Etat, mais de tous les citoyens de tous les Etats qui peuvent participer à la fondation du premier noyau fédéral européen.
C’est ici que surgit un problème décisif pour l’organisation de la lutte fédéraliste. Ne pouvant participer aux élections nationales, le M.F.E. renonce à agir dans un cadre, le cadre national, où se trouvent réunies toutes les conditions que suppose le développement de la politique normale. Dans ce cadre, tout acte de propagande se traduit ipso facto par une modification de la situation de pouvoir. Aucune idée, aussi élémentaire soit-elle, n’est perdue. Deux hommes de la rue parlent entre eux de politique : cela compte aussi parce que cela contribue à changer ou à maintenir leur vote, leur appui à tel ou tel syndicat, etc. Mais la conséquence pratique en est tellement automatique que souvent on l’ignore, et on envisage la propagande, ainsi que le simple échange d’idées politiques, comme si c’était quelque chose de détaché des faits du pouvoir, et comme si un aspect de la politique se réduisait à de pures paroles, à de la propagande, considérée comme une fin en soi. Il en résulte, dans le camp fédéraliste, l’illusion que la propagande pure et simple pour l’Europe, et non pour telle ou telle action à laquelle peut participer le destinataire de la propagande, suffirait pour changer lei cours des choses.
C’est une illusion à détruire. Dans le camp fédéraliste aussi, la propagande, pour être positive, doit coïncider avec la modification de la situation de pouvoir. Il faut donc associer la propagande pour la Fédération européenne à la propagande pour un acte que tous les citoyens peuvent faire et répéter, et qui, peu ou prou, contribue à accroître le pouvoir de faire l’Europe. Et cela ne suffit pas. Dans la mesure où il doit unir tous les citoyens de nombreux pays européens, cet acte doit être accompli dans un cadre, le cadre européen, dans lequel n’existe aucun moyen préétabli de faire participer les citoyens à la politique, et dans lequel manque même un quelconque instrument normal d’information publique, tant privée que d’Etat. Il s’ensuit que, dans le cas du M.F.E., il ne suffit pas d’organiser les adhérents et les militants ; il nous faut aussi construire, seuls, le cadre de notre audience et de notre influence, c’est-à-dire encadrer la population. En réalité, bien que sans en avoir une conscience théorique précise, les fédéralistes, à peine leur tâche avait-elle acquis un minimum d’autonomie organisationnelle et politique, ont affronté ce problème et ont tenté de le résoudre avec le Congrès du Peuple Européen, proposé par Altiero Spinelli en 1955 et mis en œuvre à partir de 1957.
 
L’EXPERIENCE DU C.P.E.
Le C.P.E. se fondait sur des élections « primaires » (les élections par lesquelles dans quelques Etats des U.S.A., les partis choisissent leurs candidats aux élections politiques), c’est-à-dire sur des élections organisées par un parti ou par un mouvement mais ouvertes à tous. Son but était d’associer la population à la construction de l’Europe au moyen de l’élection de délégués européens qui auraient dû se battre en son nom. Mais après des débuts prometteurs dans quelques villes, l’action du C.P.E. s’arrêta. Pour organiser les élections primaires il fallait beaucoup d’argent, alors que le M.F.E. n’en avait pas et ne pouvait en avoir ; il fallait en outre un nombre élevé de groupes, chacun d’eux assez fort, alors que le M.F.E., n’ayant pas encore trouvé une action propre à le caractériser, en avait très peu.
Pourtant le C.P.E., particulièrement où il avait installé ses bureaux en plein air, avait démontré que la population répond facilement à l’appel des fédéralistes. Il s’agissait donc de trouver une nouvelle formule d’action qui, d’un côté, s’autofinance et, de l’autre, puisse être menée, au moins sous une forme embryonnaire, également par des groupes faibles, et même par des individus isolés, afin de pouvoir la diffuser partout, et de faire naître, en même temps, de nouveaux groupes. Nous pensons l’avoir trouvée avec le Recensement volontaire du peuple fédéral européen pour la reconnaissance de son pouvoir constituant.
 
QU’EST-CE LE RECENSEMENT ?
1. — La méthode. Quand l’Europe aura un gouvernement, chacun pourra, par son vote, renforcer tel ou tel parti européen, pour soutenir la politique européenne correspondant à ses idéaux et à ses intérêts. Mais dans l’Europe d’aujourd’hui, qui n’existe pas encore en tant qu’organisation démocratique, le seul acte qu’on puisse faire pour l’Europe est de se déclarer pour l’unité européenne. Il en résulte que pour le moment l’unique possibilité qu’a la force européenne de se manifester (en politique la force réside dans les votes et dans les comportements du peuple) réside seulement dans les déclarations des citoyens en faveur de l’Europe et dans le compte de ces déclarations. Le Recensement organise cette possibilité dont la réalisation constitue le premier pas pour passer du sentiment européen privé (qui ne pouvant s’exprimer et n’ayant aucun point de repère en dehors de soi reste faible et incertain) au sentiment européen public, autrement dit au premier degré de la force politique.
A cette fin, il se sert d’une fiche : a) la même dans toute l’Europe pour permettre de faire le compte des déclarations ; b) portant des slogans sur la signification de l’Europe et de la place du citoyen en Europe, de sorte qu’en lui attribuant sa pleine identité européenne, il ne se sente plus un élément passif de la construction de l’Europe.
Il va de soi qu’un citoyen a conscience d’être un élément actif d’une vie politique seulement quand il a le droit de vote, autrement dit dans le cadre d’un Etat, et donc d’un gouvernement, d’un parlement, d’un système de partis, etc. C’est pourquoi ce n’est qu’en lui présentant la future Europe dans les mêmes termes qu’il peut se rendre compte de son sens, et de ce qu’il trouvera en elle citoyenneté à part entière ; ce qui équivaut, d’autre part, à la compréhension de la signification profonde de l’intégration européenne. C’est pour cette raison que le nom de Recensement volontaire du peuple fédéral européen pour la reconnaissance de son pouvoir constituant a été donné à la collecte des déclarations en faveur de l’Europe (recensement, afin de faire comprendre, au moyen d’un terme qui désigne une opération accomplie normalement par les Etats, que l’unité européenne doit se conclure par la fondation d’un Etat européen ; volontaire, afin de faire comprendre que cet Etat n’existe pas encore et qu’il dépend, de la volonté spontanée des citoyens de le faire naître ; (du) peuple fédéral européen, pour faire comprendre que, dans la mesure où un Etat naîtra, un peuple naîtra aussi, et que les citoyens européens constituent ce peuple en formation ; fédéral, d’autre part, pour faire comprendre que le peuple européen ne sera pas un peuple « national », c’est-à-dire avec un seul visage, mais un peuple plural, composé de nombreuses nations, avec plusieurs visages : un peuple qui conservera le meilleur de chaque nation ; pouvoir constituant, parce que la fondation d’un Etat concerne le peuple et parce qu’il n’y a pas d’autre moyen pour reconnaître aux citoyens le droit de choisir la forme à donner à l’unité européenne).
En signant cette fiche dont une partie lui est remise, le citoyen peut se déclarer pour l’Europe et conserver une preuve de son geste européen. Comme le M.F.E. ne peut supporter les frais de cette opération, on demande, en plus de la signature, le versement d’une contribution égale au coût de la fiche, de la conservation des archives et aux frais de la campagne (à moins de participation plus importante). Et comme il faut éviter la falsification du nombre des fiches et surtout la soustraction des sommes versées par les citoyens, une Commission de contrôle a été instituée à qui on a confié le monopole de l’émission des fiches, de la conservation des archives et de l’application d’un règlement rigoureux.
N’importe qui, une fois obtenue l’autorisation de la Commission de contrôle, peut organiser le Recensement. Pourtant, pour des raisons évidentes, là où il existe une organisation régionale du M.F.E., la Commission de contrôle est tenue d’inviter celui qui désire organiser le Recensement à placer son action sous l’égide du M.F.E. S’il n’existe au contraire qu’une des organisations membres de l’ancienne U.E.F., qui ne font plus partie du M.F.E. (bien que par bonheur une politique d’unification soit maintenant engagée), les organisateurs du Recensement doivent, au cas où elle l’adopte, le placer sous sa tutelle financière, en plus de celle de la Commission de contrôle. De toute façon, les fonds provenant du Recensement doivent être utilisés pour financer le développement de la campagne, et doivent être administrés conjointement par la Commission de contrôle, les organes supérieurs du M.F.E. et éventuellement par les organisateurs susnommés.
Le Recensement peut être organisé sous une forme publique en plein air (c’est la forme la plus efficace, parce qu’elle met au contact de toute la ville) ; sous une forme semi-publique dans les milieux de travail, les associations, les écoles, etc., et sous une forme privée par des individus isolés. Il favorise par conséquent le renforcement des groupes faibles et la création de nouveaux groupes à partir d’individus isolés.
2. — Les objectifs. Ils sont de deux types, internes et externes. Les objectifs externes consistent en la création et l’extension d’un lien entre la section et les citoyens, la diffusion de la presse fédéraliste (on publie, entre autres, le Journal du Recensement), la diffusion d’insignes, de vignettes pour les autos, etc. (afin de rendre visible dans la ville le sentiment européen). De cette manière on peut créer un lien organique entre les fédéralistes, la population de la ville et ses milieux sociaux, en d’autres termes procurer au fédéralisme une audience à exploiter à des fins politiques par l’institution et le renforcement des Comités du Front démocratique pour une Europe fédérale (un appel du Front est distribué à chaque adhérent au Recensement) ; par des prises de positions politiques qui seront finalement écoutées et publiées par les journaux, etc. Les objectifs internes consistent en la possibilité d’animer les sections, de les financer, d’en créer de nouvelles, d’augmenter partout le nombre des membres et de conquérir le milieu de la jeunesse, qui ne participe que si on lui offre une action dynamique et populaire.
Le nombre des fiches, comme on peut le constater, n’a pas seulement une valeur en soi comme indice de la diffusion du sentiment européen, mais surtout en tant qu’il est un moyen pour obtenir ces résultats.
D’autre part, quand nous approcherons de la possibilité d’effectuer le transfert des pouvoirs des Etats nationaux à la Fédération européenne, et il sera nécessaire de disposer de l’interlocuteur européen de cette opération constituante, le fait d’avoir déjà établi un lien organique entre les fédéralistes d’un côté, la population, les partis, les syndicats, etc., de l’autre, permettra d’organiser, sur la base du Recensement, et avec la technique déjà décrite, le Congrès du Peuple Européen.
3. — Les moyens. Il ne faut que de la bonne volonté, un peu de travail et le respect du règlement et de procédés éprouvés lors des premières expériences. La preuve est déjà faite que l’action paie les frais et aide les sections à vivre. Et peut-être est-ce la première fois dans l’histoire qu’une propagande politique est payée par ceux à qui elle est destinée et non par c’eux qui la font. Ce n’est pas la peine de souligner la valeur de ce fait (qui démontre du reste la grande force virtuelle du sentiment européen). Ne dépendant plus de personne pour l’action et pour l’argent, les fédéralistes peuvent désormais parler et agir à la première personne, et donner ainsi la force de la vérité au slogan de la campagne (« Faire l’Europe dépend de vous »), dans lequel on résume l’essence de la démocratie européenne.
 
POSSIBILITES PRATIQUES DU RECENSEMENT
Pour les évaluer il faut distinguer les grandes villes, les villes petites et moyennes et les milieux sociaux. En ce qui concerne les grandes villes, de plus d’un million d’habitants, il a été prouvé qu’on peut faire une action publique environ tous les deux mois (sauf pendant les saisons défavorables) et recueillir chaque fois environ 6.000 adhésions, 400 abonnements et diffuser 500 insignes et 500 vignettes pour les autos (bien entendu si les militants sont bien préparés et si les sièges de collecte sont en nombre suffisant). Sur cette base il est possible de recruter de nouveaux militants jeunes, d’obtenir de nouvelles inscriptions au M.F.E. et de couvrir une bonne partie des dépenses de la section locale, de s’assurer les adhésions d’importantes personnalités politiques de la ville, de fonder des Comités du Front, d’intéresser l’opinion publique dans son ensemble tout en obtenant un résultat de propagande qu’on ne pourrait même pas atteindre en y dépensant des centaines de milliers ou des millions de francs. En ce qui concerne les petites villes, avec des groupes organisés, l’action, si elle est bien conduite, devient pour quelques jours l’événement principal de la vie de la ville, à tel point qu’elle procure dès le début aux fédéralistes un véritable poids politique. Après une action de ce genre les partis et les syndicats ne peuvent plus négliger le M.F.E., et pratiquement il est facile d’obtenir qu’ils demandent à être informés et à participer au moins indirectement, à son développement. En ce qui concerne les milieux sociaux, la preuve a déjà été faite qu’avec le Recensement quelques personnes peuvent obtenir l’adhésion de la majorité des membres de syndicats, d’écoles, d’entreprises, d’associations, etc., et les amener à l’Europe en diffusant le journal, des insignes, en les faisant adhérer au M.F.E., etc.
 
ORGANISATION DU RECENSEMENT
Qui veut organiser le Recensement n’a qu’à s’adresser à la Commission de contrôle (Viale Majno, 20, Milano), de laquelle il peut obtenir les instructions pratiques, le règlement, les fiches, les tracts de propagande, les insignes, les vignettes pour les automobiles et des numéros spécimens du Journal du Recensement. Un conseil. Le règlement et les instructions sont ennuyeux, donc qui veut organiser le Recensement doit perdre patiemment une heure ou deux à les lire avec attention. Il n’y a pas d’autre moyen de garantir le sérieux et le développement de la campagne.

 

 

 

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