LE FEDERALISTE

revue de politique

 

VIII année, 1966, Numéro 2-3-4, Page 229

 

 

 

Le Mouvement Fédéraliste Européen
 
 
LES FINS
« Le Mouvement fédéraliste européen a comme but la lutte pour la création d’une Fédération européenne — comme étape vers la fédération mondiale — à laquelle seront transférés les pouvoirs souverains nécessaires à la sauvegarde des intérêts communs des citoyens des Etats européens. Cette Fédération européenne devra garantir les libertés fondamentales — y compris le droit d’opposition — et disposer de pouvoirs fédéraux effectifs concernant la politique générale économique, financière et sociale, les échanges internationaux, la monnaie, la politique extérieure et la défense ». De la sorte, l’article 2 des statuts précise également la signification historique ultime de la Fédération européenne, comprise comme une étape vers la Fédération mondiale.
La signification historique prochaine de la Fédération européenne — en d’autres termes la méthode de sa fondation et les objectifs politiques et sociaux qu’elle permettra d’atteindre — résulte au contraire des documents qui ont marqué la naissance du Mouvement, durant la Résistance, et des résolutions de ses congrès.
 
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La Fédération européenne comme moyen d’améliorer l’équilibre mondial. — En 1947 (Ier congrès - Montreux), le Mouvement affirmait déjà qu’il convenait de rendre à l’Europe « la fierté de sa légitime indépendance » et en 1948 (IIe congrès - Rome) que « seule une Europe fédérée sera capable de suivre une politique d’indépendance en face des autres puissances mondiales. Elle seule peut constituer la tierce puissance qui est essentielle au maintien de la paix ». En 1962 (IXe congrès - Lyon) le Mouvement précisa que « la contradiction sans cesse croissante entre l’interdépendance matérielle des peuples et leur prétention à la souveraineté nationale conduit le monde à l’anarchie économique, au chaos politique et menace l’existence même d’une civilisation organisée ». Enfin, en 1964 (Xe congrès - Montreux), en ce qui concerne les rapports avec les Etats Unis, il affirma que « quelle que soit la façon dont on envisage la collaboration entre l’Europe et les Etats-Unis, communauté ou partnership, aucune solution valable ne pourra être trouvée en dehors de la Fédération européenne ».
La Fédération européenne comme moyen de renouvellement démocratique. — Il s’agit d’une affirmation constante déjà parfaitement claire aux auteurs des premiers documents fédéralistes durant la Résistance : « Le Mouvement pour la Fédération européenne entend s’appuyer sur les mouvements nationaux qui luttent pour la justice économique et sociale, contre l’oppression politique, pour le libre et pacifique établissement de leur génie national spécifique. Mais alors que des patriotes démocrates, socialistes, communistes, pensent souvent que ces buts doivent d’abord être atteints dans chaque pays séparément, et qu’en fin de compte surgira une situation internationale dans laquelle tous les peuples pourront fraterniser, le Mouvement pour la Fédération européenne met en garde contre cette illusion. L’ordre de ces buts est exactement inverse. Dans le cadre d’une Europe divisée en Etats souverains, ces mouvements nationaux ne peuvent qu’avorter ou dégénérer ; ils ne peuvent se développer dans un sens progressif que dans une Europe fédérée. La Fédération européenne est donc le premier des buts que doivent se fixer les éléments patriotes démocrates, socialistes et communistes ». (Déclaration du Comité français pour la Fédération européenne - 1944).
La Fédération européenne comme moyen de transformation de la société. —L’affirmation de ce principe, étant donné la difficulté de son élaboration théorique, a été lente et discutée. Toutefois, avec l’adoption de la Charte fédéraliste (Xe congrès Montreux - 1964), le Mouvement a choisi son orientation, comme le montre le passage suivant sur la propriété : « Le fédéralisme a sa conception de la propriété. Il en postule à la fois : la généralisation, afin d’y faire accéder les non-possédants ; la purification par la suppression des rentes parasitaires et des profits abusifs ; la différenciation en propriété individuelle et propriété collective sous toutes ses formes : familiale, communale, coopérative, syndicale ; la fonctionnalisation, afin de la mettre au service du bien commun. Ainsi la propriété cessera d’être un moyen d’exploitation de l’homme par l’homme et, partant, un pouvoir d’oppression d’autant plus redoutable qu’il reste souvent occulte et camouflé ».
 
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La fondation. — Selon le M.F.E., la méthode nécessaire pour fonder la Fédération européenne est celle de la Constituante. Une motion dans ce sens fut votée au IIIe congrès (Strasbourg - 1950) : « Le IIIe congrès… réaffirme que pour réaliser cette Fédération, il est nécessaire de faire entre ces Etats un Pacte d’union fédérale qui institue un gouvernement, un Parlement, une Cour suprême et des organes économiques et sociaux représentatifs, et transfère à cette autorité certains attributs de souveraineté nationale concernant la politique extérieure, la défense, l’unification progressive des économies, les finances, la protection des droits de l’homme et des communautés. Constate que pour parvenir à cette fin, il est indispensable que les Etats disposés à s’unir par un lien fédéral s’engagent à convoquer une Assemblée fédérale constituante européenne, composée de représentants des peuples et non des gouvernements et chargée de voter un Pacte d’union fédérale européenne, qui entrera en vigueur quand il aura été accepté par un nombre minimum de pays indiqué dans le Pacte lui-même, et qui restera ouvert à l’acceptation des autres Etats ».
Il ne s’agit pas, naturellement, de commencer par une Fédération de toute l’Europe, mais par un premier noyau fédéral, capable de s’étendre ensuite à toute l’Europe. Déjà dans la résolution politique approuvée par le IIe congrès (Rome – 1948), on peut lire, en effet, au quatrième point : « [Le Mouvement] affirme qu’en réclamant la constitution immédiate d’une fédération entre les pays qui dès aujourd’hui peuvent s’associer, il ne renonce pas du tout à voir les autres pays qui appartiennent géographiquement et historiquement à l’Europe s’unir à cette Fédération… ». Et, avec les prises de position en faveur de la C.E.C.A., de la C.E.D. et de l’évolution fédérale du Marché commun, le Mouvement a accepté la dimension de l’Europe des Six comme suffisante pour fonder le premier noyau fédéral européen.
 
LES MOYENS
Les capacités. — Les capacités du M.F.E. ne sont pas faciles à définir parce qu’il se différencie radicalement des formes normales d’organisation politique : les partis et les groupes de pression. A la différence des groupes de pression, qui ne recherchent que des avantages particuliers pour des groupes particuliers sans modifier nécessairement les pouvoirs constitués, le M.F.E. est le siège d’une initiative politique autonome : celle de la fondation de l’Etat fédéral. Mais, à la différence des partis qui exécutent eux-mêmes leurs initiatives, il ne peut, seul, exécuter la sienne. Cela est dû au fait que, pour fonder l’Etat fédéral, le concours de presque toute la population et d’un grand nombre de partis démocratiques est nécessaire.
Le M.F.E. est donc un mouvement au sens spécifique du terme, c’est-à-dire une convergence d’action, plus ou moins organisée, qui a sa racine dans une transition historique. Les mouvements ne se manifestent jamais sous la même forme parce que leur structure dépend des caractères, cheque fois différents, des transitions historiques. Celle qui concerne le M.F.E. est la transition d’un système d’Etats nationaux exclusifs à un Etat fédéral. En tant que telle elle exige :
Au sommet, la capacité supranationale. L’initiative de la fédération européenne ne peut se manifester qu’au sein d’une organisation qui élabore sa politique au niveau supranational, non dans celles qui l’élaborent au niveau national comme les partis et les groupes de pression (voir la fiche sur la stratégie de la lutte pour l’Europe).
A la base : 1) la capacité d’un ensemble (coordonné) de centres de culture. Il va de soi qu’on ne peut manifester la conscience d’une transition historique sans la connaissance du sens de l’histoire contemporaine, et qu’on ne peut rallier personne à la Fédération européenne contre les Etats nationaux sans la critique de l’aspect totalitaire de la culture nationale (la fausse universalisation de la nation) et sans une théorie générale du fédéralisme ; 2) la capacité d’un ensemble (coordonné) de centres d’agitation de l’opinion publique. Ne pouvant pas participer aux élections en tant que tel, le M.F.E. ne peut se servir de l’appareil électoral de l’Etat pour entrer en contact avec la population, et doit pour cette raison pourvoir lui-même à ses besoins par des actions d’encadrement de la population au niveau européen ; 3) la capacité d’un ensemble (coordonné) de charnières de l’unité démocratique européenne. Pou unir les forces démocratiques aux fins de fonder la Fédération, un dénominateur commun minimal est nécessaire, que seul le M.F.E. peut fournir. Il ca de soi que cette capacité de charnière est minimale quand la possibilité de fonder la Fédération est lointaine, maximal quand elle est proche.
En fait, le M.F.E., qui constitue la position avancée du fédéralisme organisé, a atteint, en 1959, en termes statutaires, la capacité de centre de centre de culture, de centre d’agitation de l’opinion publique et de charnière de l’unité démocratique européenne. En ce qui concerne la capacité supranationale, il faut retenir qu’elle se distingue nettement de celle des Internationales des partis qui choisissent leurs dirigeants et leur politique au niveau national, se limitant à des rencontres périodiques des chefs de partis des différentes nations, tandis que le M.F.E. choisit ses dirigeants et sa politique au niveau supranational à un congrès supranational.
 
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Les organes. — Les organes du M.F.E. ne demandent pas un description particulière, parce qu’ils sont semblables à ceux de toute les organisations démocratiques, sauf leur caractère pluraliste et supranational. Les niveaux d’organisation sont au nombre de quatre : la commune, la région, la nation et l’Europe (sur le fonctionnement des organes respectifs, consulter la statut).
 
APERÇU HISTORIQUE
Mazzini, Cattaneo, Hugo, Franz, Proudhon sont autant de lointains précurseurs du M.F.E., qui ont élaboré des idées fédéralistes et parlaient déjà de l’unité européenne. Mais il s’agissait de l’indication d’un fin ultime et non d’un véritable objectif politique. C’est sur ce même plan que se situe Einaudi qui souhaita la Fédération européenne et critiqua la Société des Nations.
Les premières actions politiques en faveur de l’unité européenne, menées avec l’appui d’un mouvement d’opinion, sont apparues dans l’entre-deux-guerres, grâce à deux organisations : « Paneuropa » sur le continent et « Federal Union » en Grande-Bretagne. La première, fondée en 1922 par le comte Coudenhove-Kalergi, battit le rappel des nobles, des diplomates et des intellectuels européens et poussa Briand à formuler, le 4 septembre 1929, devant la Société des Nations, un projet d’union fédérale européenne. La seconde, promue par Beveridge en 1938, rassembla des hommes comme Robbins et B. Wootton, qui appliquaient le fédéralisme à la situation de l’Europe et présentaient la Fédération européenne comme l’indispensable préliminaire d’un développement positif du libéralisme et du socialisme. Sans, elle, la proposition de Churchill à la France, qui était sur le point de céder sous les armées allemandes, d’unir les deux Etats sous un seul Parlement et avec une seule citoyenneté, ne s’expliquerait pas.
Ces premières tentatives, l’écroulement des Etats européens sous le coup hitlérien, la bestialité de la guerre, qui faisaient penser au dépassement de l’égoïsme national et à la solidarité européenne, conduisent, durant la Résistance, à la naissance des mouvements fédéralistes. Il y a l’espérance diffuse que la fin de la guerre permettra de reconstruire dans l’unité ce que la division a détruit et qu’il faut par conséquent, sans attendre la fin des hostilités, préparer la partie : à Milan nait, le 27 août 1943, le Movimento Federalista Europeo, à Lyon, en 1944, voit le jour le Comité français pour la Fédération européenne, tandis que d’autres groupes se constituent un peu partout.
Les traités de paix, avec le partage de l’Europe et l’omniprésence des troupes américaines et soviétiques, trompent les espérances d’une solution immédiate et, dans les années 1945-47, les différents mouvements cherchent leur physionomie politique et organique. En France, ils sont essentiellement de culture proudhonienne et pensent au fédéralisme comme forme de réorganisation intégrale de la société ; en Italie, ils sont hamiltoniens et leurs mots d’ordre sont : assemblée constituante et unité d’organisation ; en Allemagne, ils sont plus réalistes. C’est dans cette période que voit le jour l’Union européenne des fédéralistes (U.E.F.). En août 1946, des dirigeants de différents mouvements fédéralistes se rencontrent à Hertenstein et le 6 novembre à Bâle. Le 12 avril 1947, une conférence réunissait les représentants régulièrement délégués par les différents mouvements et, du 27 au 31 août, l’U.E.F. tenait son premier congrès à Montreux, avec la participation de 27 mouvements (19 de la seule France) et de plusieurs représentants des réfugiés politiques de pays de l’Europe orientale et d’Espagne. Sa structure est à mi-chemin entre le supranational et l’international, parce que les congrès nationaux subsistent en plus du congrès européen. L’orientation qui prévaut est celle du fédéralisme intégral des Français.
En 1948, avec le plan Marshall, s’ouvre un nouveau cycle de la politique européenne, où le problème de l’unité se pose pour la première fois aux seize pays qui appartiennent à cette partie de l’Europe désormais clairement placée sous la protection économique et militaire des Etats-Unis. Le Conseil de l’Europe est créé avec la mission d’élaborer les plans de réalisation de l’Union européenne. Les fédéralistes italiens estiment que le devoir de l’organisation est de suggérer aux parlementaires européens la solution juste quant à la forme de l’unité européenne et au moyen de l’obtenir, et d’agiter l’opinion publique à propos de ces formules. Mais l’U.E.F., encore incertaine et divisée en trop de mouvements, ne parvient pas à exercer une influence profonde sur l’européisme officieux, qui, en 1948, fonde le Mouvement européen, auquel participe, parmi les autres formations politiques, également l’U.E.F.
Une nouvelle phase du processus d’intégration européenne s’ouvre alors, où apparaît, à propos de la reconstruction allemande, la plate-forme des Six sur laquelle s’appuient la C.E.CA. et le projet de la C.E.D. La Fédération européenne n’est plus un objectif abstrait et les fédéralistes deviennent un élément important du jeu politique. Cela conduit l’U.E.F. à s’aligner toujours davantage sur les positions italiennes, comme cela se produisit à l’assemblée extraordinaire de Paris (1949), au IIIe congrès (Strasbourg - 1950) et au IVe (Aix-la-Chapelle - 1952), en conséquence de quoi « Fédération », mouvement qui rassemble une large part du fédéralisme français, abandonne l’U.E.F.
Après la chute de la C.E.D. et la désillusion à l’égard de la politique européenne des gouvernements, un groupe de fédéralistes prend l’initiative d’une politique d’opposition aux gouvernements (VIIe congrès - Luxembourg 1956). Le nouveau courant s’exprime par l’action du Congrès du peuple européen (C.P.E) qui vise à la mobilisation des citoyens européens par la revendication de leur pouvoir constituant. Cette action est la première à se développer avec des caractères identiques dans tous les pays et constitue l’embryon de l’unité d’organisation des fédéralistes au niveau européen. Ces deux aspects du nouveau courant ne sont pas acceptés par les mouvements néerlandais et allemands qui se détachent de l’U.E.F. et fondent, en 1956, l’Action européenne fédéraliste (A.E.F.). Pour sa part, l’U.E.F. se transforme en l’actuel M.F.E. supranational en 1959 (VIIIe congrès - Strasbourg).
Avec le Xe congrès (Montreux - 1964) et les développements qui se sont ensuivis — approbation de la Charte fédéraliste, débuts du Recensement volontaire du peuple fédéral européen et du Front démocratique pour une Europe fédérale — se dessine la possibilité d’une synthèse entre les attitudes proudhoniennes et les attitudes hamiltoniennes, et de la conquête d’une unité profonde au sein du M.F.E. D’autre part, des contacts avec l’A.E.F. sont en cours, depuis le 26 juin 1965, qui font espérer la réunification de tous les fédéralistes.

 

 

 

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