LE FEDERALISTE

revue de politique

 

IV année, 1962, Numéro 4, Page 319

 

 

CONSIDERATIONS SUR QUELQUES ECRITS
A PROPOS D’UNE NOUVELLE CONSCIENCE
NATIONALE ALLEMANDE
 
 
« C’est en vain, Allemands, que vous espérez former une nation, formez en vous — vous le pouvez — des hommes libres ».
« Quiconque refuse de prendre conscience de trois mille ans d’histoire demeure dans les ténèbres de l’ignorance, vit au jour le jour ».*
Ces deux pensées de Goethe, par la densité cristalline de l’expression poétique constituent à la fois l’introduction, le résumé et la conclusion des considérations que je voudrais exposer sur ce sujet. On y trouve en effet réunis en un raccourci admirable la constatation du caractère contradictoire avec lequel se présentaient — même et surtout pour un esprit cosmopolite à cheval sur le 18e et le 19e siècle — les valeurs de nation et de liberté, en même temps que l’exhortation de vivre et d’agir dans la continuité historique. Aujourd’hui plus que jamais, vivre dans la continuité historique signifie pour tous les Européens et, d’une manière toute particulière pour les Allemands, prendre conscience d’un siècle et demi de nationalisme, en distinguant le mythe de la réalité, les fondements sur lesquels on peut bâtir et les résidus qu’il faut éliminer.
Pendant ce siècle et demi le destin des Allemands, sous bien des aspects si semblable à celui de tous les autres Européens, a été pourtant singulier. Ils ont connu du nationalisme toute la gamme des manifestations par lesquelles celui-ci est apparu sur la scène de l’Europe, depuis le premier nationalisme, naïf, imprégné d’idéaux cosmopolites, supranationaux et démocratiques, jusqu’au dernier, autarchique, totalitaire, brutal.
L’Etat-nation, qui a rassemblé autour de lui la plus grande partie des Allemands, a connu dans le bref laps de temps d’une génération, les sommets les plus élevés de la puissance et les abîmes le plus profonds de la défaite. Si l’on ajoute à cela que les Allemands, qui du reste ne furent jamais unis politiquement en un seul Etat, vivent depuis la fin de la guerre en plusieurs formations étatiques au milieu desquelles passe la division du monde en sphère d’hégémonie américaine et sphère d’hégémonie soviétique, on arrivera à comprendre comment les Allemands sont aujourd’hui à la fois dans la situation la plus favorable et la plus dangereuse pour procéder à l’examen du nationalisme.
Dans la situation la plus favorable, parce que la catastrophe politique et morale à laquelle l’idéologie nationale a conduit l’Allemagne, impose à chacun un effort de réflexion. Dans la situation la plus dangereuse, parce que d’une part, l’écroulement total peut inciter à échapper à l’histoire, porte à la tentation de vivre hors de la continuité historique sans aucun rapport avec le passé et sans perspectives vers l’avenir et, d’autre part, laisse la place encore toute encombrée de passions et de résidus instinctifs qui menacent d’insérer la pensée et l’action des hommes dans les directions du passé et par suite vers de fausses perspectives de renouvellement. Pour aller dans le sens de l’histoire, pour retrouver le sentiment perdu de la communauté et de l’Etat, il est nécessaire d’accepter de porter le poids de son siècle, même si cela est pour les Allemands un poids terrible. Ce qui ne veut pas dire d’ailleurs continuer sur le chemin d’autrefois. C’est même tout le contraire. On ne part jamais de zéro. Mais pour aller de lavant il faut savoir où l’on est, connaître le point de départ. Aussi l’examen historique est-il indispensable à l’action : sans passé il n’y a pas d’avenir.
Telles sont en substance les raisons pour lesquelles, plus qu’en toute autre partie de l’Europe, le problème de la nation est actuel et occupe une place considérable dans les discussions qui se déroulent dans les publications politiques allemandes. Ces publications — fort abondantes — s’étendent des premières années de l’après-guerre jusqu’à aujourd’hui.
Je me suis limité à examiner ce qui a été publié de plus significatif pendant les deux dernières années.[1] Devant la concordance — au premier abord surprenante — des points de départ et des points d’arrivée des divers auteurs, il ma semblé qu’il était indiqué d’intenter une étude globale. Ces divers auteurs ont en effet en commun une même fonction sociologique : ils proviennent presque tous du monde académique ou de celui des enseignants.
Il n’est pas difficile de se rendre compte de la raison pour laquelle le monde de l’Université ou de l’éducation sentent vivement l’actualité particulière de ce problème. Dans sa limpide contribution au symposium de la fondation Friederich Naumann, Ludwig Dehio met en lumière la signification profonde de l’année 1945 dans l’histoire de l’Allemagne et de l’Europe. L’année 1945 ne marque pas seulement la fin de la plus terrible guerre qu’ait vécue l’humanité, mais clôt définitivement une époque dé l’histoire de l’Europe qui a duré pendant plus de quatre siècles. C’est pourquoi les générations arrivées à l’âge d’homme pendant le deuxième après-guerre présentent un visage radicalement différent, et souvent opposé, à celui des générations de leurs pères. Jamais peut-être, autant qu’aujourd’hui, le mot jeunesse n’a eu un sens aussi sociologiquement important. En Allemagne, des expressions comme « la génération sceptique », « les enfants des déçus » sont presque entrées dans le langage courant. Devant une jeunesse qui ne comprend pas le passé et n’a aucun pôle d’attraction, les problèmes de l’enseignement se posent avec une ampleur et une gravité particulières. C’est une opinion fort généralisée qu’en Allemagne la jeunesse n’a plus le sens de l’Etat. Le phénomène — nous le savons — a une portée européenne et non seulement allemande, c’est le phénomène plus général de la décadence des valeurs civils. Mais ce qui a disparu en Allemagne, d’une manière évidente pour tout le monde, c’est la justification idéologique de l’Etat : la nation, alors que les autres Etats européens conservent encore, sous forme d’illusion, le mythe de la souveraineté nationale. La République Fédérale Allemande n’est plus un Etat national allemand et le fait quelle cherche à se donner avec la réunification une mission nationale n’est pas suffisant pour obturer la faille ouverte dans la conscience politique des Allemands par l’écroulement du troisième Reich. La jeunesse allemande sent, confusément peut-être d’ailleurs, que la République Fédérale n’a plus, je ne dis pas une mission à accomplir, mais une tâche à effectuer. Tous les contenus politiques que l’on a cherché à développer chez les Allemands occidentaux depuis la guerre : démocratie, liberté, réunification, ne vivent dans leur conscience politique qu’à un degré de tension fort bas. L’idéal ne devient ni engagement, ni expérience. Il ne faut donc pas s’étonner si le degré de dépolitisation, non seulement chez les générations les plus anciennes, mais même chez les plus jeunes, qui n’ont eu aucune expérience directe du nazisme, est plus élevé en Allemagne qu’ailleurs. Cette situation, que peut constater en Allemagne tout voyageur attentif, est relevée par tous les auteurs pris en considération. Mais ce qui, au niveau descriptif, est indiscutable, ne l’est plus au niveau explicatif. L’explication comporte l’examen historique du nationalisme. Depuis un siècle et demi en effet, le rapport entre le citoyen et l’Etat est exprimé par le terme souveraineté nationale. La nation correspond ainsi aussi bien à l’ensemble des citoyens qu’à l’Etat, absorbant en elle toutes les valeurs de communauté et d’autorité. Nos auteurs tentent, précisément, un examen du nationalisme. Il sera donc utile de suivre de très près leur propos, même au prix d’en alourdir l’examen par de nombreuses citations, pour voir dans quelle mesure les catégories conceptuelles qu’ils emploient sont aptes à expliquer le phénomène du nationalisme et par suite, en dernière analyse, à donner aux Allemands une nouvelle conscience et un nouvel idéal politiques.
Au centre de la discussion se trouve évidemment le nazisme, mais il importe peu de relever avec quels accents et quelles nuances les divers auteurs le jugent. Sa condamnation est chez tous sans appel. Ce qui, au contraire, est plus intéressant, c’est la façon dont le nazisme est compris dans le contexte de l’histoire allemande et de l’idéologie nationale. On verra alors que ce n’est pas le nazisme qui est au centre de la discussion mais le problème de la continuité historique. Il est intéressant de remarquer que bien des représentants de l’historiographie allemande d’après-guerre sont beaucoup moins éloignés d’admettre la continuité entre fondation du Reich et nazisme que ne le sont les historiens italiens d’admettre la continuité entre Risorgimento et fascisme. L’opinion des historiens de cette tendance bien loin d’être limitée à des cercles académiques, exprime un état d’opinion fort répandu en Allemagne et qui considère avec défiance tout ce qui parle de Volk, Nation, Vaterland. Cette attitude négative à l’égard de tout ce qui est national explique l’enthousiasme sincère bien que superficiel, suscité en Allemagne par la perspective d’unification européenne, surtout chez les jeunes, et explique aussi comment, dans la mesure où cet idéal a de la peine à se réaliser, les sentiments et les états d’âme s’écartent de la politique et se réfugient dans l’indifférence. La plus grande partie de la littérature sur le nationalisme se présente donc comme une réaction contre cette attitude antinationale spontanée, consciente ou non, comme une tentative d’opérer une « réhabilitation du nationalisme » (l’expression est de l’historien suisse Herbert Lüthy), d’adapter une conscience nationale renouvelée à la nouvelle constellation historico-politique qui s’est produite après 1945.
Christ s’exprime ainsi à ce sujet (op. cit., p. 7) : « On note plutôt une aspiration qui, entre les extrêmes du nationalisme et de l’antinationalisme, réclame une interprétation de la nation neuve et positive. Prendre au sérieux cette exigence sera le meilleur moyen de s’opposer à une renaissance du nationalisme négatif ». Tandis que Cysarz écrit (op. cit., p. 19) : « Avant tout il faut refuser la symbiose des termes. National ne veut pas dire nationaliste et moins encore fasciste. D’un antinationalisme justifié ne doit dériver aucune conception antinationale ». Dans la page suivante le même auteur parle « de l’impardonnable trahison du nationalisme à l’égard de la nation », et encore (p. 30) : « une saine conscience nationale allemande doit être antinationaliste » ; et ensuite il énumère (p. 69 et suiv.) « les péchés mortels du national-socialisme à l’égard de la nation allemande », pour conclure (p. 81) : « le vieux nationalisme est mort, que vivent les nations toutes ensemble ». En d’autres termes, mais avec le même sens Kamlah (Die Frage nach dem Vaterland, p. 10) écrit : « la dégradation du nationalisme à travers le national-socialisme est une œuvre des nationaux-socialistes qui a survécu à leur chute et qui survit encore avec le résultat que défenseurs et accusateurs du national s’accordent dans l’incapacité de faire une distinction ». Nos auteurs, au contraire, qui se présentent aussi bien en accusateurs qu’en défenseurs du national, réclament une distinction qui pour Christ est exprimée par le couple des termes : nationalisme positif et négatif, pour Cysarz par : conscience nationale et nationalisme, pour Kamlah par : national-socialisme et nationalisme ; les couples de termes ne sont pas identiques, mais nous pouvons pendant un moment négliger les nuances.
Une sentence latine dit : « Qui bene distinguit, bene docet », mais c’est précisément l’utilité de distinctions de ce genre qu’il faut mettre en doute, et pour le faire, il est nécessaire, avant tout, de se rendre compte de ce que nos auteurs entendent par nation et quelle est leur opinion sur l’origine des nations. En ce domaine la confusion est grande mais il vaut la peine de tenter de s’orienter.[2] Christ fait à ce propos des observations intéressantes en ce qu’il met en lumière — de manière assez peu consciente malheureusement — le caractère idéologique des deux théories dominantes de la nation. Il y aurait selon Christ une théorie fondée sur l’Etat ou française, qui considère l’Etat comme l’élément constitutif de la nation et de laquelle dériverait la volonté des citoyens de vivre ensemble (« plébiscite de tous les jours ») et la théorie du Volkstum de Herder et de Mazzini. En réalité ce que Christ entend par théorie fondée sur l’Etat, n’apparaît pas très clairement, on ne voit pas très bien s’il entend par là la théorie qui considère la nation comme une création de l’Etat ou s’il y insère aussi l’élément subjectif et volontaire du « plébiscite de tous les jours ». Importante est l’affirmation de Christ que la première théorie a servi à justifier les Etats dont la souveraineté s’étendait sur divers groupes ethniques, tandis que la seconde a justifié les Etats où le processus de formation a trouvé devant lui des Etats dynastiques multinationaux, comme l’Autriche et la Prusse. Ces considérations amènent Christ à une distinction entre Volk et Nation. Volk serait quelque chose de spontané, par suite politiquement non encore formé, tandis que Nation serait une unité politiquement formée et cimentée par un sentiment de solidarité où les éléments du Volkstum (langue, traditions, etc.) ne seraient que les matières premières, c’est-à-dire des conditions nécessaires mais non suffisantes (Christ, op. cit., pp. 11-16, 49-50). Christ met en relief à plusieurs reprises l’importance du facteur « Etat » et a probablement aussi l’intuition de la nature de l’Etat dont il s’agit (l’Etat bureaucratique moderne dont Max Weber a fait la théorie) quand il met l’accent sur l’importance dans le processus de formation des nations, de l’industrialisation et de l’organisation des espaces économiques en économies nationales (p. 21). Il arrive même à se rendre compte du danger que représente l’Etat à l’égard des nationalités spontanées. A la page 15 nous lisons en effet : « La nation naturelle au sens du Volkstum périt facilement par l’effet de l’« intégration » de l’Etat ». Toutefois, l’analyse de Christ est insuffisante. On le relève clairement lorsqu’il en vient à parler des facteurs qui auraient porté à la formation des nations, où il note des phénomènes disparates et hétérogènes dont quelques uns pertinents (ascension de la bourgeoisie, principe démocratique, industrialisation), d’autres au contraire tout à fait hors de question (dissolution de la monarchie universelle médiévale, renaissance, réforme). Christ en arrive à ne plus savoir très bien ce que sont les nations parce qu’il ne part pas de la seule donnée empirique vérifiable : le comportement national, c’est à dire le comportement de fidélité à un groupe appelé nation. Parlant des nations, mais non du comportement national, il ne réussit pas à distinguer ce qu’il y a en elles de mythe et ce qu’il y a de réalité, et par suite il ne peut même pas nous dire quand sont nées les nations, c’est-à-dire s’il faut rechercher leur origine à la fin du Moyen-Age ou même dans la nuit des temps, ou encore dans la Révolution française, ce qui est au contraire possible en termes de comportement car, une fois qu’on a défini celui-ci, on peut dire avec certitude quand il est apparu sur le plan de l’histoire. Cette remarque est fondamentale et elle vaut non seulement pour Christ mais pour presque tous les auteurs considérés. En effet, si les nations font partie du monde des hommes et non d’autres mondes, on ne peut parler des nations sans parler du comportement relatif des hommes impliqués.
La même observation s’applique aussi à Kamlah, bien que cet auteur se rapproche de la considération du comportement national mais s’arrête a mi-chemin. Après avoir noté qu’il y a des Etats où s’est formée une conscience nationale de l’Etat sans toutefois qu’il y ait un Volkstum unitaire (ex. : Suisse, Belgique, Hollande), il constate qu’ailleurs, dans les Etats nés du démembrement des empires dynastiques, s’est développée une théorie qui « par nation n’entend pas seulement la communauté des citoyens, comme en Europe occidentale, mais quelque chose comme Volk, où la délimitation de ce Volkest relativement naturelle en même temps qu’historique. Cela n’a rien à voir avec la biologie et encore moins avec la « race ». L’individu est membre d’une nation mais en même temps il dépend de lui de reconnaître ou de refuser, de modifier ou d’oublier cette prédétermination historique » (Kamlah, Die Frage nach dem Vaterland, p. 18) et il conclut : « Les nations sont des formations historiques, aussi ne sont-elles pas éternelles, mais sujettes au changement historique » (op. cit., p. 24). Il me semble que Kamlah, en affirmant, justement, que l’individu peut accepter, refuser, modifier ou oublier son appartenance à un groupe historique national admet implicitement la possibilité et la nécessité de prendre en considération le comportement national. Mais en cela il s’arrête à mi-chemin dans la mesure où il ne définit pas la nature de ce comportement qui est un comportement de fidélité envers une entité collective pensée comme réelle alors quelle est mythique : la nation. De cela il résulte que le comportement doit être considéré comme idéologique et la nation, précisément, comme une idéologie. En particulier l’idéologie de l’Etat bureaucratique moderne (l’Etat bourgeois) né avec la Révolution française. Ces considérations nous aident aussi à examiner critiquement la position de Gollwitzer, qui, parmi celles jusqu’ici rencontrées, a le mérite de séparer clairement le nationalisme comme phénomène politique de tout ce qui ne lui appartient pas. Cette distinction préliminaire permet à Gollwitzer de considérer comme idéologiques toutes les positions qui font remonter le nationalisme au Volkstum et par suite de débarrasser la question d’une source inépuisable d’équivoques. Le point de départ étant précisé, Gollwitzer peut définir avec clarté, l’origine du nationalisme. Il faut citer in extenso le passage le plus saillant. « Comme date de naissance du nationalisme socio-politique il faut considérer la grande Révolution française, donnée de fait qu’en Allemagne n’est pas du tout acceptée. Que s’est-il passé pendant la Révolution française dont l’inexacte interprétation dans notre enseignement de l’histoire constitue une des déficiences de notre formation politique et qu’on ne peut simplement identifier, comme on le fait souvent, avec la période de la Terreur ? Les avènements de 1789 ont provoqué l’écroulement du vieux système de la société fondé sur les classes et ont introduit à sa place une libre nation fondée sur, légalité des citoyens. … Par suite l’ancien rapport entre autorité et sujets devient insoutenable, à la souveraineté de droit divin se substitue la souveraineté populaire. … De ce rapport mutuel entre Etat et société… naît le nationalisme politique de la Révolution française, un nationalisme de la souveraineté populaire, de l’autodétermination et de l’auto-affirmation de la nation, un processus d’intégration à l’intérieur de la nation avant que se manifestent encore les tendances expansionnistes vers l’extérieur » (Gollwitzer, op. cit., p. 458). Toutefois le chemin parcouru par Gollwitzer ne le conduit pas à abandonner une conception idéologique de la nation, mais le conduit d’une conception idéologique à une autre. Le passage suivant confirme cette interprétation. « Un changement ultérieur de notre conception de la nation est désormais imposé par le fait que sur la base de l’expérience historique et de la recherche scientifique, il faut parler avec une extrême circonspection des aspects naturalistes et biologiques du Volk, Volksgeist, Volkseele, Volkscharachter— entendu comme caractère indélébile — concepts sur lesquels les générations passées se sont appuyées les yeux fermés, et qui sont devenus aujourd’hui équivoques… Quant à nous, demeurons encore solidement ancrés au concept de nation entendue comme le stade historico-politique et culturel d’un peuple ou d’un ensemble de peuples… La nation est en premier lieu une communauté de destin… à laquelle correspond subjectivement la nation comme communauté de volonté » (Gollwitzer, op. cit., p. 461). Pour mieux éclaircir ce qu’il entend, par « communauté de volonté » Gollwitzer rappelle expressément la doctrine de Renan du « plébiscite de tous les jours ».
L’examen des conceptions de la nation que nous venons d’étudier a mis, me semble-t-il, en lumière un fait important : nos auteurs ne sont pas arrivés à dépasser le dualisme fondamental dans les conceptions du national entre théories naturalistes et théories volontaristes de la nation, en mettant parfois davantage l’accent sur l’une plutôt que sur l’autre ou en tentant une médiation entre les deux (voyez par exemple Cysarz, op. cit., pp. 15-16). On lit la solution entre les lignes du livre de Christ, bien qu’il démontre à plusieurs reprises qu’il ne la pas lui-même aperçue, lorsqu’il affirme qu’en principe, les théories volontaristes ont servi à justifier les, Etats de l’Europe occidentale et le théories naturalistes les Etats de l’Europe orientale. De là à considérer que la nation est une idéologie il n’y a pas loin, mais aucun de nos auteurs ne semble sen rendre compte. Et cependant la force des choses est désormais irrésistible. Nous vivons à une époque où l’organisation de la société a rendu insignifiantes les barrières des nations. Il n’est personne — même s’il est encore emprisonné dans les vieux schémas conceptuels — qui ne doive se rendre compte de cette situation et de ses significations. C’est précisément ce que font nos auteurs. Le problème fondamental pour tous s’énonce ainsi : quelle place occupe encore l’élément national dans un monde où les rapports sociaux ont franchi les confins des Etats nationaux et même des continents ? En particulier, quel est le rapport, entre les sentiments nationaux et l’unification de l’Europe ? Nos auteurs répondent en chœur à ces questions. Christ (op. cit., p. 69) : « L’Europe ne peut pas naître de la rupture de la fidélité des individus envers leurs nations ». Kamlah (Probleme einer Nationalen Selbstbesinnung, p. 10) : « Le supranational présuppose le national, même nous (Allemands) nous ne pourrons résister longtemps sans cette condition, préalable ». Et à la page 19 : « L’Europe nécessaire que nous devons réaliser est la sincère unification de ses nations ». Cysarz (op. cit., pp. 94-95) : « Il n’y a pas de conscience nationale sans perspective mondiale, comme il n’y a pas une nouvelle organisation politique du monde sans la structure individuelle et universelle des peuples ». Gollwitzer (op. cit., p. 460) : « Aucun homme raisonnable ne conteste la nécessité d’unions supranationales, mais celles-ci ne peuvent et ne doivent s’accomplir sous la forme d’une décomposition des nations, au contraire celles-ci doivent être insérées dans un tout plus vaste, tout en gardant leur unité et leur individualité ». C’est dans cette perspective, et dans celle-là seulement, que la distinction entre national et nationaliste prend un sens pour nos auteurs. Car les nations qui doivent harmonieusement s’insérer dans des unités supranationales ne sont pas les vieilles nations, autarchiques, rivales, jalouses de leur grandeur, avec leurs traits autoritaires et brutaux, mais des nations neuves, purifiées et à qui correspondrait une nouvelle conscience nationale. Aussi voyons-nous un cercle se fermer. De même que le nationalisme de la première moitié du XIXe siècle était le fils du cosmopolitisme (Herder, Mazzini, etc.), de même le nationalisme de la seconde moitié du XXe siècle, se présente à nouveau imprégné d’idéaux cosmopolites ; il n’a plus la prétention de représenter une valeur absolue, mais il cherche, timidement, à faire sa place dans une nouvelle échelle de valeurs. Il me semble qu’il faut rechercher l’explication de ce cheminement dans deux ordres de facteurs. En premier lieu l’éclipse de la raison d’Etat des souverainetés nationales dans l’Europe continentale, fondement du nationalisme présomptueux du siècle qui court entre 1848 et 1945. En second lieu la faiblesse de la base sociale du nationalisme à ses origines et à nos jours. Alors, parce que la première révolution industrielle n’avait pas encore entamé profondément la structure agraire et artisanale d’une société conservatrice, aujourd’hui, parce que la seconde révolution industrielle a crée une économie supranationale et en expansion. Alors, l’intégration économique et sociale dans les espaces nationaux n’avait pas encore eu lieu, aujourd’hui l’intégration économique et sociale a détruit les barrières des économies nationales.
Toutefois, expliquer pourquoi le nationalisme contemporain se présente imprégné de cosmopolitisme ne signifie pas le justifier. Il est évident que si l’on considère les nations comme quelque chose à la fois de naturel et d’historique ou bien comme le résultat d’un plébiscite de tous les jours, l’Europe, ou n’importe quelle autre communauté supranationale, ne peut naître contre les nations, car il serait fou daller contre la nature, l’histoire et la volonté générale des hommes. Mais si au contraire les nations sont, comme nous l’affirmons, le reflet de la fidélité des hommes à leur Etat national, il est alors évident qu’on ne peut penser à l’Europe, ou à un ordre politique mondial, sans en même temps opérer dans sa conscience politique la rupture de la fidélité à son Etat national et par suite à la nation et substituer un nouveau loyalisme à l’ancien. Il s’agit donc d’opérer une dévaluation du nationalisme et non comme cherchent à le faire nos auteurs une réévaluation.
A l’insuffisance des catégories conceptuelles pour l’analyse du nationalisme, correspond, et il fallait s’y attendre, la confusion la plus complète quant à l’ordre supranational qui doit remplacer en Europe et dans le monde l’ordre stato-national.
Christ parle à ce propos (pp. 66-67) d’une Europa der Volker, se déclarant complètement indifférent à la question de savoir si cette Europe doit être fédérale ou confédérale ; d’une Europe qui devrait être fondée sur les peuples, les Etats et le régions, mais qui toutefois devrait avoir un caractère politique. A la page 64 il s’exprime ainsi : « Les unions économiques ne sont pas suffisantes, car l’économie doit être portée et justifiée par la politique ». Christ oppose sa conception de l’Europa der Volker à celle du Peuple Européen connue en Allemagne à la suite de la traduction du « Manifeste des Fédéralistes Européens » d’Altiero Spinelli (Europäische Verlaganstalt, 1958), où précisément il accuse les fédéralistes de ne pas distinguer entre nation et « Etat national absolu » et d’attribuer à celle-ci les défauts de celui-là. Dans cette critique de Christ transparait l’Allemand d’origine hongroise, qui a dû défendre autrefois sa nationalité contre les tentatives d’assimilation. Il n’est pas étonnant par suite qu’il applaudisse (page 47) aux idées de Guy Héraud d’une Europe garante des particularités ethniques des groupes. On doit cependant reconnaître à Christ le mérite d’avoir cherché, parmi les auteurs considérés, à approfondir, bien que d’une façon incorrecte, le problème de l’organisation politique de l’époque postérieure à l’Etat national. En ce qui concerne les autres auteurs, au contraire, des termes tels que fédération ou confédération, union européenne ou union atlantique, Nations Unies et ordre politique mondial, sont pris l’un pour l’autre avec une légèreté vraiment extraordinaire, ce qui démontre une fois de plus que lorsque on conçoit les nations en dehors de l’organisation politique de l’Etat national il n’est plus possible ensuite de déterminer avec clarté le problème de la création d’une organisation politique supranationale, de déceler quelles sont les idées et les institutions qu’il faut vaincre et éliminer pour atteindre ce but. Il ne vient à l’esprit de personne de croire que seul l’Etat fédéral peut être l’instrument institutionnel capable de donner sa valeur à l’expérience typique de l’Europe qui est une expérience d’une unité dans la diversité et que ce cadre seul peut garantir que les diversités ne s’estomperont pas dans une nuit, où tous les chats sont gris.
Nous avons vu souvent exprimée, dans ces écrits, la sympathie pour les minorités ethniques opprimées, la nostalgie pour les vieilles traditions locales balayées par l’esprit de masse actuellement régnant, la nostalgie pour une véritable Kulturnation que l’on ne conçoit qu’insérée dans le grand panorama de la culture européenne. Certes, on sent derrière ces accents la trace d’un sentiment latent, sinon hostile du moins méfiant, devant certains aspects de la société contemporaine qui tend à étouffer tout pluralisme. Toutefois, nous n’avons aucune peine à reconnaître dans ces accents le sentiment de désarroi qui saisit le voyageur devant ces magnifiques villes allemandes modernes si dépourvues de visage et d’histoire, si détachées du paysage, si anonymes. Et cependant c’est avec difficulté que ceux qui ont le sentiment de cette dimension des choses, reconnaissent que c’est justement à l’Etat-nation qu’il faut attribuer cette tendance effrainée à tout niveler, unifier et détruire, cette tendance à briser les habitudes les plus enracinées, à falsifier les données de l’histoire et de la culture, à modifier brutalement le paysage humain de nos villes, en un mot à violenter les nationalités spontanées et les Kulturnationen. Très difficilement ces gens-là sont amenés à penser que ce n’est qu’en enlevant aux Etats nationaux les pouvoirs démoniaques de la politique extérieure et de la politique militaire que l’on pourra trouver une base institutionnelle qui permette le plein développement d’une société pluraliste et profondément différenciée telle que se présente notre société européenne et que, pour réaliser cela, il est nécessaire d’en finir avec le mythe de la nation que soutiennent encore les Etats-nations en décadence.
Nous étions partis de la constatation, si évidente pour l’Allemagne, de la décadence, surtout chez les jeunes, des valeurs civiques et communautaires, et de la nécessité de remplir ce vide dans la conscience politique des Allemands. Nous avons vu comment la tentative de donner une valeur nouvelle au nationalisme non seulement ne sert pas ce but, mais au contraire dirige la pensée et l’action des hommes vers des perspectives stériles et dangereuses. Il nous reste maintenant à examiner la position de Karl Jaspers qui se différencie de celles que nous avons analysées jusqu’ici en ce que Jaspers ne tente pas une réévaluation du nationalisme, mais se propose exactement le contraire. Il semblerait donc à première vue qu’entre la position soutenue dans ces notes et celle de Jaspers il existe une affinité profonde. Si cette affinité existe, ce n’est toutefois qu’une affinité — qu’on excuse l’expression imprécise — d’intentions, non certes, d’analyses et de contenus conceptuels. Et même si l’on examine avec attention les résultats auxquels aboutit Jaspers on constate qu’ils ne sont point tellement différents de ceux auxquels arrivent les auteurs considérés. Sans vouloir diminuer en rien la valeur morale du plaidoyer antinational de Jaspers, il me semble toutefois que je suis obligé de constater qu’il n’arrive pas à une connaissance positive des phénomènes nationaux et que par suite son appel et son message demeureront sans audience.
Jaspers part d’une distinction entre conscience nationale politique et conscience nationale apolitique. La conscience nationale politique correspond pour l’Allemagne à la conscience nationale germano-prussienne du Reich bismarckien. C’est-à-dire quelle est liée à l’Etat national dont elle partage le sort. Aujourd’hui où « dans tout l’Occident l’idée de l’Etat national est devenue le danger majeur » (page 60) cette conscience doit être abandonnée et faire place à une conscience nationale apolitique qui « n’est pas liée à cette conscience particulière de l’Etat national, et plus généralement avec l’idée même d’un Etat. Il y a quelque chose de plus vaste : l’autre Allemagne, plus grande et plus profonde, est, pour qui vit d’elle, spirituellement plus puissante, bien que matériellement plus éloignée des réalités politiques » (op. cit., p. 60). Il affirme peu après qu’il s’est opposé en 1948 à ce que l’on considéra le Parlement de la Paulskirche— dont c’était le centenaire — comme le symbole et la base de la nouvelle conscience de l’Etat car, continue Jaspers, ce fut précisément dans la Paulskirche que naquit l’équivoque entre unité et liberté. « Mais cela ne signifie pas que l’on doive bâtir sur le néant. Nous avons la grande tradition de l’Ethos allemand… Nous avons une patrie allemande qui plane, en quelque sorte, au dessus de la terre, dans le royaume des esprits et nous retrouvons toujours des Allemands qui semblent être là chez eux » (op. cit., pp. 72-73). Jaspers tombe là dans une contradiction évidente. Si les mots ont un sens, Jaspers affirme donc que le nouvel Etat (il semble que l’on doive entendre la République Fédérale Allemande) ne devrait plus se fonder sur l’idée de l’Etat national, mais sur une conscience nationale apolitique. Nous demandons : qui est-ce qui garantit à Jaspers qu’une conscience nationale demeurera apolitique ? Nous sommes ici, c’est l’évidence, dans le monde des désirs et non dans le monde réel. Jaspers en arrive même à affirmer que « en tant que grande nation, ce que nous devons offrir à nous mêmes et au monde c’est la compréhension de la situation mondiale actuelle, à savoir que l’idée de l’Etat national est aujourd’hui aussi bien le mal de l’Europe que celui de tous les continents » (op. cit., p. 73). La nation, donc, selon Jaspers devrait renier son origine : l’Etat national. Résultat sensationnel : les choses toutefois ne sont pas aussi simples, car Jaspers parle de nation en un sens différent du nôtre.
Quand Jaspers parle de nation il a probablement dans l’esprit la Kulturnationqu’en effet n’a rien à voir avec la nation allemande. Kant, Goethe et Beethoven appartiennent à un ouvrier ou à un paysan allemand autant que Vico, Dante, Vivaldi à un Italien, c’est à dire pas du tout. Tandis qu’il n’est philosophe, littérateur ou musicien italien à qui n’appartiennent en quelque mesure Kant, Goethe et Beethoven. Ce n’est que l’Etat national qui a tenté de réaliser la symbiose contre nature entre culture et puissance nationale, sans y réussir — heureusement — et, à l’extrême limite, nous pouvons penser à la survivance de l’Allemagne comme Kulturnation alors même que tous les Allemands auraient disparus de la surface de la terre. Ceci est encore plus évident quand on considère le monde anglo-saxon qui représente sans discussion possible une unité culturelle bien que personne n’ait l’idée d’attribuer la culture anglo-saxonne à la nation anglaise, américaine, écossaise, irlandaise, etc.
Aussi la critique que l’on peut faire à Jaspers c’est plutôt de ne pas avoir analysé le problème, en permettant que les termes assument un sens ambivalent de telle sorte que son appel, valable sur le plan de la morale, ne l’est plus sur celui de la connaissance et s’avère en définitive stérile. Ceci vaut aussi bien pour Jaspers que pour les autres auteurs considérés car sa position ne diffère pas en substance de la leur en ce sens que tous ne cherchent pas à définir sur un plan de connaissance rigoureuse l’objet de leur étude : la nation. Quand en effet on analyse le problème de la nation, la première chose à faire est d’avoir recours à une analyse linguistique pour se rendre compte du destin singulier du mot nation. On verra alors comment, pendant de longs siècles, jusqu’à la Révolution française certainement, mais même après, le mot nation a conservé son sens étymologique originaire (natio, de nascere), la communauté d’appartenance des individus au milieu naturel, culturel, historique dans lequel ils sont nés. On se réfère à ce que nous appelons nationalité spontanée, concept du reste fort vague et qui peut indiquer soit des communautés citadines, régionales, soit même des communautés idéales (Kulturnationen) comme par exemple la communauté des anglo-saxons. Ce n’est qu’avec la Révolution française, puis avec une intensité croissante dans les décades successives, que nous commençons à trouver le mot nation dans le sens de communauté politique (c’est à dire organisée sous forme d’Etat) justifiée par une unité supposée de langue, de traditions, de culture, de volonté des citoyens, etc. Ce concept de nation, à la base duquel se situent tous les problèmes des minorités nationales qui ont empoisonné un siècle et demi d’histoire européenne, est désormais le concept de sens commun auquel il faut nous reporter quand nous parlons des nations. Quand nous disons le mot Italie, France, Allemagne, etc., nous pensons précisément à ces entités collectives, personnalisées, capables de volonté et de sentiments, capables de commettre des crimes et, même, d’en éprouver des remords.[3] Une fois l’objet défini par l’analyse linguistique il faudra l’analyser conceptuellement (c’est-à-dire en définissant le type-idéel du comportement national) comme je l’ai indiqué précédemment au passage. On verra alors que les nations ne sont autres que la représentation que se font les citoyens d’un Etat, obligé, par le système de rapports interétatiques dans lequel il est inséré, à tout transformer en volonté de puissance et par suite à demander aux citoyens les sacrifices les plus grands jusqu’à celui de la vie. Sans une méthode d’analyse rigoureuse on confondra toujours des termes et des idées absolument hétérogènes : Kulturnation, nationalité spontanée et nation, qui désignent des choses différentes sur des plans différents. Ceci, qui devrait être clair, n’est pas seulement un problème de terminologie, et éviter de l’affronter conduit — quelles que soient les intentions morales — à l’impossibilité de distinguer entre mythe et réalité, et par suite à l’impossibilité de trouver une base solide pour l’action, en demeurant pour l’éternité prisonniers d’idéologies et de schémas mentaux dépassés. Les Allemands ont aujourd’hui besoin d’une âme politique ; il est certain qu’il ne la trouveront pas dans la nation mais il est non moins certain qu’ils ne la trouveront qu’en cherchant a pénétrer profondément le sens de la nation.[4]
 
Alessandro Cavalli


* « Zur Nation zu bilden, ihr hofft es, Deutsche, vergebens. Bildet statt dessen, ihr könnt es, freier Menschen euch aus… ».
« Wer nicht von dreitausend Jahren / Sich Weiß Rechenschaft zu geben / Bleibt im Dunkel unerfahren / Mag vom Tag zu Tage leben ».
[1] Karl Jaspers, Freiheit und Wiedervereinigung (Über Aufgaben deutscher Politik), R. Piper Verlag, München, 1960.
Wilelm Kamlah, Die Frage nach dem Vaterland, W. Kohlhammer Verlag, Stuttgart, 1960.
Herbert Cysarz, Das Deutsche Nationalbewusstsein (Gegenwart, Geschichte, Neuordnung), Günter Olzog Verlag, München, 1961.
Was bedeuten uns heute Volk, Nation, Reich ? Schriftenreihe der Friederich Naumann-Stiftung n. 3, Deutsche Verlags Anstalt, Stuttgart, 1961.
Helmuth Thielicke, An die Deutschen, Rainer Wunderlich Verlag, Tübingen, 1962.
Wilhelm Kamlah, Probleme einer nationalen Selbstbesinnung, W. Kohlhammer Verlag, Stuttgart, 1962.
Hans Christ, Die Rolle der Nationen in Europa, J. Fink Verlag, Stuttgart, 1962.
Heinz Gollwitzer, Weltbürgertum und Patriotismus heute, Aus Politik und Zeitgeschichte, 12 septembre 1962.
[2] Le lecteur s’apercevra que l’examen de ces écrits sur le nationalisme s’effectue sur la base d’une conception du national qui n’émerge qu’en passant de manière explicite au cours de cette étude. Notre but n’était pas en effet d’exposer nos schémas conceptuels mais d’en vérifier la valeur en cherchant, sur leur base, à comprendre ceux des autres. Aussi est-il nécessaire de renvoyer le lecteur aux écrits qui ont inspiré ce travail et qui sont dûs a Mario Albertini et en particulier : Lo Stato Nazionale, Milano, Giuffrè, 1960 ; Per un uso controllato della terminologia nazionale e supernazionale, « Il Federalista », IIIe année, n. 1, Janvier 1961.
[3] L’idée de « la responsabilité collective de l’Allemagne » est, elle même, un produit de la déformation nationale. La lecture du petit volume de Karl Jaspers « Die Schuldfrage » (Schneider Verlag, Heidelberg et Arthemis Verlag, Zürich, 1946) est à ce sujet surprenante. Au cours de quelques pages Jaspers affirme justement que c’est « une erreur de croire à la culpabilité de toute une collectivité » ainsi que l’opinion contraire : « Nous portons tous la responsabilité du fait que parmi les conditions spirituelles sur lesquelles reposait la vie allemande se trouvait la possibilité d’un tel régime ». Pour un examen plus étendu des passages en question voyez : Il Federalista, IIIe année, n. 3-4, Juillet 1961.
Une analyse assez satisfaisante de la Schuldfrage est soutenue dans le petit volume de Kamlah : Probleme einer nationalen Selbstbesinnung, pp. 37-40.
[4] Tandis que dans le livre de Jaspers la discussion sur la nation sert de voile de fond à la discussion sur la réunification, dans les autres écrits examinés c’est le contraire, c’est-à-dire que le discours sur la nation offre l’occasion de parler aussi de la réunification. De toute façon il est certain que toute étude sérieuse sur la réunification implique une étude profonde du problème de la nation. Jai évité de parler de la réunification allemande — même si cela ne sortait pas de mon sujet — car l’importance du problème mérite un examen en soi. Quoi qu’il en soit, il est clair que quiconque pense à la nation (au sens explicité) comme à une valeur, admet la légitimité de la réunification nationale allemande, quitte ensuite à affirmer que les Allemands doivent y renoncer et la sacrifier sur l’autel de la liberté de l’Occident. Les concepts de « Verzicht » (renonciation), de « Hinnahme » (acceptation) se rencontrent à tout bout de champ dans la littérature qui refuse la réunification comme la tâche politique de l’Allemagne occidentale d’aujourd’hui. Une question vient alors spontanément à l’esprit: pour qui faut-il faire ce sacrifice (si sacrifice il y a)? Pour la liberté de l’Occident, répond-on. Pour cet Occident donc, serré autour de l’hégémonie américaine? Pour l’hégémonie américaine en Europe, pour un ordre, qu’on y prenne garde, non pas supranational mais impérialiste? Il y a un passage, dans le livre de Jaspers, qui me semble contradictoire d’une manière presque scandaleuse. Il vaut d’être cité: «notre élaboration d’une conscience autonome de l’Etat présuppose que nous reconnaissions et ne perdions pas de vue que notre existence en tant qu’Etat libre est assurée par la présence de troupes américaines dans la République fédérale et à Berlin… il est devenu pour moi toujours plus évident que si nous collaborons inconditionnellement avec l’Occident tout entier sous l’effective hégémonie américaine nous pouvons obtenir notre liberté politique interne dans cette situation mondiale». (op. cit., p. 85, c’est moi qui souligne). Que l’hégémonie américaine ait sauvé et continue à sauver les Etats de l’Europe occidentale de l’impérialisme soviétique est incontestable, mais que cela soit la condition nécessaire pour une conscience autonome de l’Etat et pour la liberté politique, me semble insensé. La réalité est différente. Aujourd’hui l’hégémonie américaine limite la souveraineté nationale des Etats de l’Europe occidentale, mais dans la mesure où elle ne remplace pas la souveraineté nationale par une organisation supranationale, elle empêche la prise de conscience autonome des Européens devant la situation mondiale. Le problème de la réunification prend donc un sens tout différent dans une véritable perspective de dépassement de l’Etat national. Et même il prend son véritable sens de revendication du droit sacré qu’ont tous les hommes à la liberté politique et à la lutte contre la tyrannie, droit qui n’appartient pas seulement aux Allemands, mais aux Polonais, aux Hongrois et à tous les autres que la folie nationaliste de la première moitié du siècle a poussés dans la longue nuit de l’impérialisme soviétique. Dans une perspective stato-nationale ou dans une perspective occidentale sous l’hégémonie américaine, aussi bien la revendication de l’unité que la renonciation à l’unité, empêchent les Allemands de se diriger avec sûreté sur la route de l’unité européenne.

 

 

 

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