LE FEDERALISTE

revue de politique

 

IV année, 1962, Numéro 2, Page 199

 

 

A PROPOS D’« ETATS GENERAUX »
 
 
Nous avons souvent affirmé que des organisations « para-fédéralistes » et, comme on le dirait en italien, fiancheggiatrici (telles l’« Association Européenne des Enseignants » et sa « Journée européenne de l’école », ou l’« Association des Communes de l’Europe ») ne pourraient apporter une contribution appréciable à la cause de l’unité européenne que dans la mesure où il existerait un Mouvement Fédéraliste fort, et avec une précise et efficace ligne politique, capable donc de les contrôler et de les influencer d’une façon décisive.
Les organisations para-communistes ont un sens et connaissent, ou ont connu, des succès (tels les « Partisans de la Paix », aujourd’hui substitués par les « marcheurs de la paix », par les « unilatéralistes » et en général par l’armée innombrable des imbéciles dont le miracle économique a fait encore augmenter la production), car derrière elles et au dessus d’elles, il y a une politique « marxiste-léniniste » (ou plutôt la politique étrangère de l’Union Soviétique). Dans ce cadre, même les fêtes dansantes de L’Unità, que l’on organise en Italie, ou d’autres manifestations folkloriques analogues, ont une signification et atteignent leur but. Mais elles resteraient toutes des manifestations folkloriques, sans conséquences politiques, s’il n’y avait pas le « parti » qui les canalise et les exploite.
Or tel est malheureusement le cas, au contraire, pour les organisations « folkloriques » européennes, comme celles que nous avons mentionnée plus haut. Le Congrès international des Communes de l’Europe de Vienne du mois d’avril (ou « Etats généraux des pouvoirs locaux d’Europe », comme on les appelle avec le langage typique de l’Europe officielle — lucus a non lucendo —, où moins l’on compte, plus l’on fait semblant de compter) a confirmé ces réflexions mélancoliques, que seul un observateur superficiel pourrait juger trop sévères. L’Association pourrait théoriquement s’acheminer sur deux voies (en réalité en strict rapport d’interdépendance et qu’il serait souhaitable de parcourir conjointement) : ou bien se battre énergiquement pour une décentralisation réelle et profonde ; ou bien, comme moyen à cette fin, faire propres les revendications politiques des fédéralistes, à commencer par la Constituante. Mais dans l’un cas comme dans l’autre elle devrait mener une lutte intransigeante contre les pouvoirs nationaux : ce qu’est radicalement impossible, du fait que les forces politiques qui la dominent sont ces mêmes partis nationaux qui ont aussi la majorité dans les parlements des différents pays, et qui en contrôlent les gouvernements. Voilà pourquoi l’Association a choisi pour elle le rôle beaucoup plus commode d’applaudir et de se réjouir de tout, ou de presque tout, et même — atteignant les sommets du comique — du fait « que la contribution que les “Etats Généraux” apportent à la cause des Etats-Unis d’Europe est d’ores et déjà déterminante pour le succès de cette grande entreprise » (dans la résolution « politique » approuvée justement à Vienne). Aux Communes de l’Europe on peut même prévoir l’avenir.
C’est ainsi que l’Association s’insère harmonieusement et sans résidus dans cette fonction que nous avons depuis longtemps dénoncée comme la raison d’être véritable de l’Europe officielle et communautaire : celle de faire croire que l’on fait quelque chose, que l’« Europe est en marche », pour détourner la pression spontanée de l’« européanisme diffus » et pour mieux conserver par là les immobilismes nationaux. Et c’est ainsi que l’Association des Communes de l’Europe se transforme dans une simple grain de cet « opium du peuple européen » que la pipe de l’opinion publique continue, hélas, à fumer sans soupçons. On pourrait donc affirmer, en paraphrasant Eluard, que l’Europe aussi est une pipe. Et quelle pipe ! En l’allumant, il est possible à plusieurs — justement comme à Eluard avec sa pipe poétique — non seulement de s’amuser sans effort en se moquant des autres, mais aussi d’en retirer un profit personnel. Que veut-on de mieux ?
 
Andrea Chiti Batelli

 

 

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