LE FEDERALISTE

revue de politique

 

V année, 1963, Numéro 2, Page 164

 

 

VERS UNE POSITION SUPRANATIONALE
A L’EGARD DU PROBLEME DE
LA REUNIFICATION DE L’ALLEMAGNE 
 
 
PROPOSITIONS POUR LA DISCUSSION
DU PROBLEME ALLEMAND*
 
 
Comme on le sait, le Comité Central du M.F.E., au cours de sa réunion du 15 et du 16 juin 1963, a décidé de demander aux Régions d’envoyer au Président du Bureau exécutif des rapports sur le problème allemand en vue d’une prise de position du Comité central lui-même. Un groupe de fédéralistes italiens d’Autonomie Fédéraliste, qui se sont réunis à Milan, le 29 juin, pour organiser leur travail d’été, ont eu la fortune de rencontrer l’ami Gruber, de Munich, et de traiter ce problème en commun ; ils sont parvenus aux conclusions suivantes, qui peuvent avoir quelque intérêt pour tous les membres d’Autonomie Fédéraliste.
D’abord, de l’avis de tous, une prise de position sur le problème allemand de Français ou d’Italiens qui se réunissent entre eux sans avoir auparavant entendu l’opinion des amis allemands, ne peut pas être très efficace. D’ailleurs on a estimé aussi qu’une prise de position des seuls Allemands serait moins féconde qu’une prise de position d’Allemands unis aux Français, aux Italiens, etc… Ces points de vue supranationaux du problème allemand, comme d’autres problèmes, devraient se former à la base même de notre Mouvement, pour éviter que les motions du Comité central se réduisent, comme c’est arrivé souvent dans le passé, au vote de textes destinés à rester lettre morte faute d’une profonde correspondance avec la base.
En tout cas, selon tous, Autonomie Fédéraliste devrait ouvrir un dialogue sur le problème allemand parmi ses membres français, italiens, allemands, dans le but de porter la supranationalité des points de vue à la base même du Mouvement. Enfin on a estimé que pour parvenir à une conviction bien fondée dans l’esprit de chacun il faudrait traiter au départ les aspects essentiels du problème sans se laisser submerger par la marée des aspects particuliers.
De notre discussion ont émergé trois aspects essentiels :
1) Gruber nous a dit que bien des gens pensent en Allemagne qu’il n’y a pas actuellement une politique de l’Occident en matière de réunification allemande. Le problème, c’est s’il peut en exister une sur la base de l’actuelle organisation politique de l’Occident. Pour résoudre les problèmes politiques il faut deux choses : la volonté et la possibilité de les résoudre, c’est-à-dire une force spécifique qui dans la politique intérieure (démocratique) est donnée par le vote de la population, et qui dans la politique internationale dépend du poids qu’on a dans la balance mondiale du pouvoir et du fait qu’on a par conséquent voix au chapitre dans les réunions internationales. A la lumière de ces considérations évidentes il faut se demander :
a) si l’Allemagne peut obtenir toute seule la réunification, en demeurant dans l’O.T.A.N. ou bien par une neutralisation du type autrichien : solution possible uniquement si elle convient tant aux U.S.A. qu’à l’U.R.S.S. puisqu’elle exige l’approbation des deux.
b) si, de toute façon, l’Occident (en admettant qu’il veuille vraiment la réunification allemande) pourrait l’obtenir aussi longtemps que la force restera concentrée entre les mains des U.S.A. et de l’U.R.S.S. et donc aussi longtemps que toute modification du statu quo modifiera également les rapports entre les deux géants.
c) quelle serait au contraire la volonté de résoudre le problème et quelle la possibilité si celui-ci passait entre les mains d’un gouvernement fédéral européen constitué au moins sur la base des six pays des Communautés, dont l’importance dans la balance mondiale du pouvoir est facilement calculable si l’on tient compte du poids du Marché commun dans l’économie internationale.
Ces questions concernent l’aspect stratégique du problème.
2) Gruber nous a dit que souvent en Allemagne on dit « réunification » mais qu’on pense « liberté des hommes qui vivent en Allemagne orientale ».
Cela doit être vrai. Tout le monde en Europe a appris à ses dépens que le premier bien est la liberté politique et que même l’indépendance nationale n’est un bien que si elle est au service de la liberté politique des citoyens. Mais si l’on pense vraiment à la liberté on ne peut pas se limiter à la liberté de ses compatriotes, il faut demander la liberté pour le plus grand nombre possible d’hommes, compte tenu des situations réelles et des possibilités historiques. Au regard de ces considérations il faut admettre :
a) que la condamnation de la division en deux de l’Allemagne et l’exigence de la réunification concerne la liberté politique des seuls Allemands ;
b) que la condamnation de la division en deux de l’Europe et la demande de l’unification fédérale de tous les Européens — dont la condition préalable est une fédération de l’Europe occidentale — concerne la liberté de tous les Européens ;
c) et encore que c’est seulement sur ce plan continental que la liberté des Allemands comme de tous les autres Européens serait vraiment assurée, car elle dépendrait exclusivement d’eux-mêmes et non de puissances extérieures, fussent-elles amies. Et compte tenu de tout cela, ne faut-il pas peut-être se demander, encore une fois, si le préalable national ne constitue pas une limite de la liberté ? Il y a un siècle, quand la grande culture allemande était déjà éclose, on ne pensait absolument pas que la nation linguistique dût coïncider avec l’Etat totalement souverain. Ne s’agirait-il pas de mettre en discussion ce principe et de reconnaître que la fusion intégrale entre Etat et Nation est la racine même du nationalisme et des offenses aux droits de l’homme et constitue l’aspect négatif de l’histoire européenne ? Ne serait-ce pas le cas de le condamner pour démontrer à l’humanité que les Européens veulent, en faisant l’Europe, reconnaître leurs fautes historiques et les surpasser ? Ces questions regardent l’aspect idéal du problème de la réunification allemande et elles ne peuvent pas être éludées, parce qu’on ne peut pas résoudre de grands problèmes historiques sans de grands principes idéals.
3) Nous sommes tombés d’accord sur le fait que toute extension graduelle et pacifique de la Fédération Européenne vers l’Est doit être tenue pour juste, puisqu’elle correspond à l’extension de la liberté politique, et pour prévisible, à cause du poids de l’Europe unie dans la balance mondiale du pouvoir, et de la tendance des Européens de l’Est à rejoindre ceux de l’Ouest dans la Fédération, l’U.R.S.S. ne pouvant pas dans cette situation maintenir facilement sa domination. Mais nous nous sommes rendu compte aussi du fait que cette extension constituerait, dans un premier temps, une augmentation de la tension mondiale, puisqu’elle déplairait aux Russes et aux Américains, étant donné qu’ils cherchent maintenant un accord avec les Russes, et nous avons cherché à évaluer ce problème. La première constatation est que cela est inévitable. On ne peut pas vouloir la liberté des Allemands de l’Est, des Hongrois, des Polonais, des Tchèques, etc., sans déplaire aux Russes et sans payer ce prix. La seconde constatation, c’est que l’unification fédérale graduelle de toute l’Europe, la fin de sa division en deux zones stratégiques, serait très bienfaisante pour une détente profonde et durable. Cette Europe ferait disparaître la dangereuse limite territoriale — européenne — de puissance entre les deux géants nucléaires, les U.S.A. et l’U.R.S.S. Avec cette Europe il y aurait dans le monde trois puissances au lieu de deux et, partant, cesserait l’affrontement direct et exclusif des U.S.A. et de l’U.R.S.S. qui est la cause profonde de la tension internationale et de la course aux armements. D’éventuels accords entre l’U.R.S.S. et les U.S.A., c’est-à-dire entre les deux antagonistes, ne pourraient être que des pauses dans le combat, et ne pourraient avoir qu’un contenu très limité, tandis qu’avec trois puissances, et la voie étant ouverte pour faire de tout continent un centre autonome de participation à la balance mondiale du pouvoir, le monde serait certainement moins belliqueux.
Ces considérations sur la brève tension initiale concernent l’aspect tactique du problème de la liberté de tous les Allemands et de tous les Européens. Elles ne peuvent pas être écartées puisqu’une stratégie qui ne débouche pas sur le plan tactique, ne devient pas une stratégie effective, un principe concret de réalisation.


* Le 29 juin 1963 quelques fédéralistes italiens du M.F.E., réunis à Milan, eurent une entrevue avec Dietrich Gruber, secrétaire de la section de Munich. Ils en profitèrent pour examiner la façon la plus opportune de commencer la discussion sur le problème allemand et décidèrent d’envoyer à tous leurs amis d’Autonomie Fédéraliste ce questionnaire.

 

 

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