LE FEDERALISTE

revue de politique

 

XIV année, 1972, Numéro 3, Page 114

 

 

L’ACTION DU M.F.E. EN FRANCE
 
 
Le Fédéraliste reproduit ici trois documents qui font le point sur la discussion en cours au sein de la Commission française du M.F.E. sur le renouvellement de faction du Mouvement en France et sa liaison avec les actions qui sont à l’étude dans les autres pays.
 
 
PLAN D’ACTION PUBLIQUE EN FRANCE
POUR L’ELECTION DIRECTE DU PARLEMENT EUROPEEN*
 
Ligne stratégique fondamentale.
Si l’Europe occidentale ne se donne pas un gouvernement fédéral, à l’heure où le pouvoir de construire l’avenir appartient aux grands Etats continentaux, elle deviendra l’esclave de l’Amérique, comme l’Europe orientale est l’esclave de la Russie.
Cette prévision est plausible. Mais la classe politique, réfugiée dans l’attente, est sans réaction. D’ailleurs, rien ne lui paraît plus difficile que de convoquer une assemblée constituante européenne. Pourtant sans constituante, pas de constitution. Mais cette attitude n’est pas surprenante, ni même coupable. Les pouvoirs nationaux n’ont pas le pouvoir de prendre une décision européenne.
Tout pouvoir est le résultat d’une lutte politique. Or, le cadre de cette lutte est encore national : c’est la lutte pour la prise du pouvoir national, ou sa conservation. Qui se moque de l’« institutionnalisme » des fédéralistes oublie cette vérité. Il oublie les institutions nationales. Par conséquent, il est incapable de comprendre que la lutte politique ne peut pas détruire son objet, le pouvoir national. On ne peut donc pas compter sur l’initiative de la classe politique.
Existe-t-il une action, portant sur un point décisif, qui changerait le cadre de la lutte ? Le « mémorandum Monnet » du 28 avril 1950 révèle la nature stratégique du projet de la C.E.C.A. Constatant qu’on était partout dans l’impasse, Monnet écrivait : « D’une pareille situation, il n’est qu’un moyen de sortir : une action concrète et résolue, portant sur un point limité mais décisif, qui entraîne sur ce point un changement fondamental et, de proche en proche, modifie les termes mêmes de l’ensemble des problèmes ».
Monnet et son groupe (auquel appartenait l’actuel président du comité central du M.F.E., Etienne Hirsch) nous ont laissé une indication stratégique fondamentale. Depuis quelques années, les fédéralistes les plus engagés et les européistes les plus sérieux, avec le même courage et la même imagination que Monnet et ses compagnons, mènent une action résolue sur un point décisif du processus de formation de la volonté politique, de nature à « modifier les termes mêmes de l’ensemble des problèmes ». Ce point, c’est l’élection unilatérale directe des délégués nationaux au Parlement européen. Si l’on obtient cette élection dans un pays — elle pourrait se produire en Italie mais aussi en Belgique, aux Pays-Bas ou en Allemagne — les choses bougeront. La reconnaissance du droit de vote européen dans ces pays mettrait dans une position intenable les gouvernements qui ne voudraient pas le reconnaître à leurs propres citoyens et irait jusqu’à provoquer l’élection générale directe du Parlement européen. Alors apparaîtrait une légitimité démocratique européenne, c’est-à-dire un fait constitutionnel.
Le pas décisif sur la voie de la constitution fédérale sera fait quand les citoyens commenceront de participer directement à la construction de l’Europe.
 
 
Plan d’action publique en France
pour l’élection directe du Parlement européen
 
1. L’action fédéraliste.
L’action du Mouvement fédéraliste doit être caractérisée par les idées suivantes :
 
1.1. Une action d’opposition.
1.1.1. Le Mouvement fédéraliste est un mouvement d’opposition.
Si l’on est persuadé que l’Europe peut être unie par les gouvernements, voire que les gouvernements et les partis n’ont besoin que de quelques conseils, une action populaire d’initiative fédéraliste n’est pas nécessaire et le Mouvement n’a plus de raison d’être : le Mouvement européen, les Internationales des partis, le Comité d’Action pour les Etats-Unis d’Europe, le Conseil des Communes d’Europe etc. suffisent à la tâche.
1.1.2. L’opposition fédéraliste se distingue des simples oppositions de gouvernement ou de régime. C’est une opposition de communauté. Elle s’exprime par le refus de la nation comme communauté politique exclusive, par la revendication de la reconnaissance du pouvoir constituant du peuple fédéral européen.
1.1.3. Cette revendication prend toute sa signification politique comme instrument et préalable d’une phase constituante globale d’adaptation de toutes les institutions aux exigences de la société. Les aspirations qui parcourent la société européenne, les luttes qui l’ébranlent et les transformations qu’elle subit ne peuvent aboutir dans le cadre de la lutte pour les pouvoirs nationaux, mais dans le cadre de la lutte pour de nouveaux pouvoirs à créer sur la base d’une articulation constitutionnelle fédérale.
1.1.4. Le Mouvement fédéraliste doit recruter des adhérents par une action spécifique.
Historiquement, les seules actions spécifiques qu’ait connues le Mouvement sont : la Petizione federalista de 1950, le Congrès du peuple européen (1956-1962) dont l’aspect le plus valable était de rassembler des suffrages et non l’élection de candidats, artificielle et injustifiée, le Recensement volontaire du peuple fédéral européen pour la reconnaissance de son pouvoir constituant lancé en 1963 et, en 1969, la campagne visant à réunir et à authentifier devant les autorités compétentes les signatures nécessaires au dépôt d’une proposition de loi d’initiative populaire portant élection unilatérale directe des délégués italiens au Parlement européen. Le retour périodique de cette forme d’action suffit à en montrer la valeur.
1.1.5. Le Mouvement fédéraliste ne peut augmenter son poids qu’en appelant périodiquement les citoyens à adhérer publiquement à l’idée de « l’Europe des Européens, par les Européens et pour les Européens ».
 
1.2. La situation du Mouvement fédéraliste en France.
1.2.1. L’organisation française du Mouvement, à la différence de son organisation italienne, n’a pas connu d’action de ce genre depuis le Congrès du peuple européen, sauf en quelques régions ou sections, encore capables d’initiatives. D’où la dégradation de la situation, l’engourdissement des militants, l’érosion de nos positions, l’acéphalie du Mouvement et enfin l’alerte donnée solennellement le 21 février 1971 par Jean-Pierre Gouzy, président de la Commission française : « Le problème de la survie du M.F.E. en France doit être posé aujourd’hui et sans plus attendre, au grand jour, au moins pour nos militants ».
1.2.2. Quelques fédéralistes persistent pourtant à concevoir le Mouvement comme un conseiller des partis, d’autres, tout en voulant organiser une force politique, et même une force d’opposition, ne conçoivent pour elle aucune action spécifique, enfin certains proposent une action — voire un catalogue d’actions mais n’ont pas su identifier le problème à résoudre ni préciser la forme de cette action, en imaginer le climat, en apprécier l’intensité et la durée, ni a fortiori développer cette action comme une véritable action d’opposition.
 
1.3. Autres leçons de l’expérience.
1.3.1. L’énonciation de l’exigence institutionnelle (les élections directes) et celle du contenu politique qui lui est implicite (l’indépendance des Européens et la régénération de leur vie démocratique) doivent être concomitantes.
1.3.2. L’action doit donc être conçue comme un cadre à remplir, justement, de ce contenu politique précis. Sans quoi elle perd de sa valeur d’opposition.
1.3.3. La campagne de signatures doit appeler les citoyens à donner leur approbation à une idée. Mais elle doit en même temps les appeler à s’unir à une action.
1.3.4. Concrètement, le citoyen doit signer un texte précis et politiquement engageant, comportant le préalable institutionnel et la ligne politique. Les textes de la campagne doivent donner clairement l’idée de l’opposition fédéraliste aux partis et aux gouvernements.
1.3.5. Enfin, engageant à agir, cette action doit produire un effet cumulatif.
 
2. L’interprétation française de la ligne stratégique européenne du Mouvement.
2.1. En France, nul n’ignore qu’avec la majorité actuelle la revendication de l’élection au suffrage universel direct du Parlement européen s’apparente encore à un vœu pieux. Par ailleurs, l’initiative populaire des lois n’existe pas en France. Il est donc impossible de transposer purement et simplement l’expérience italienne.
 
2.2. Deux hypothèses sont possibles : le succès ou l’échec de la lutte pour les élections européennes.
2.2.1. La lutte pour les élections européennes échoue : la classe politique refuse d’entrer dans une phase pré-constituante (les partis refusent les élections directes du Parlement européen).
La crise des pouvoirs établis, de plus en plus faibles, de moins en moins capables de s’acquitter de leurs tâches, même les plus modestes, engendre l’apathie, le scepticisme, la décadence des valeurs civiques. La réapparition de la violence dans la société rend irrésistibles les séductions de « l’ordre à n’importe quel prix ». De nouvelles formes de fascisme apparaissent : « c’est la grande nuit des colonels » (Albertini).
Les fédéralistes doivent alors perdre sur une position juste : ils doivent être capables de rejeter sur la classe politique la responsabilité de l’échec (perdre sur une position juste, c’est encore gagner) afin de disposer d’une « réserve stratégique » (désobéissance civile, grève européenne, insoumission, grève administrative des pouvoirs locaux), de prendre en définitive l’initiative de la résistance.
2.2.2. La lutte pour les élections européennes réussit : la classe politique accepte d’entrer dans une phase pré-constituante (en Italie, les partis approuvent la proposition de loi d’initiative populaire n. 706 portant élection directe des délégués italiens au Parlement européen).
Alors les fédéralistes ne doivent pas gagner sur une position fausse : ils doivent être capables d’exploiter partout le succès et d’interdire à leur adversaire (les gouvernements nationaux) de le confisquer à son profit (gagner sur une position fausse, c’est encore perdre). C’est pourquoi ils doivent aussi étudier avec les partis le but ultime : la constitution fédérale.
 
2.3. Les fédéralistes demandent publiquement aux directions des partis des discussions officielles sur les élections directes du Parlement européen, pour tenter d’engager la classe politique française dans une phase pré-constituante. Mais sans élections unilatérales dans les pays voisins, cette tentative reposera sur le vide politique.
2.3.1. Cependant la situation de la France et des partis dans le cadre de l’intégration européenne confère à l’idée des élections directes une valeur subjective. La preuve en est que les communistes eux-mêmes se sont prononcés pour la démocratisation des institutions de la Communauté économique européenne (cf. P.C.F., Programme pour un gouvernement démocratique d’union populaire, Editions sociales, 1971, p. 224). L’idée est donc exploitable, mais à la condition de lui donner une valeur objective, c’est-à-dire de la placer dans le cadre de notre stratégie.
Or, si la ligne stratégique fondamentale des fédéralistes est celle du regroupement de tous les citoyens (et donc des partis) sur la position de la constituante (le passage du pouvoir des nations à l’Europe) la ligne stratégique qui se manifeste dans les opérations gouvernementales des partis est celle de la division des Français en majorité et opposition. D’où la difficulté. Cela s’explique : dans la politique normale, la majorité (simple) et l’opposition sont des distinctions gouvernementales, mais la fondation d’un pouvoir nouveau exige une majorité constitutionnelle, c’est-à-dire le peuple tout entier, l’unité démocratique.
2.3.2. Pour mettre les partis en face de leurs responsabilités et leur faire porter le poids de la crise de la démocratie (cf. 2.2.1.) il n’est donc qu’un moyen : prendre position publiquement pour une formule de gouvernement de la France qui permettrait d’opérer légitimement le passage à l’Europe (cf. 2.2.2.) sans diviser les Français, à la différence d’un gouvernement normal. Pour que cette formule donne l’idée de l’unité des Français, il suffira, en ne fermant la porte à personne sur des positions d’origine nationale, de parler d’un gouvernement au-dessus des partis, d’un gouvernement d’unité démocratique dont le programme tiendrait en trois points : expédition démocratique des affaires intérieures ; élection directe des délégués français au Parlement européen ; ouverture de négociations avec les neuf partenaires de la France pour la conclusion d’un traité convoquant l’Assemblée constituante de la Fédération européenne.
C’est cette position qui permettra de gagner, même si l’on perd la bataille des élections directes, et d’exploiter le succès jusqu’à la Constituante si l’on gagne cette bataille. En effet, il ne faut pas oublier que cette prise de position, ces discussions officielles, faute d’une balance des forces constituée, d’une part, par les gouvernements nationaux et, d’autre part, par les premiers développements électoraux européens, permettent de faire un bout de chemin avec les partis, mais non d’atteindre le but.
 
3. Conséquences pratiques : l’objectif instrumental de l’action.
3.1. Pour demander publiquement aux directions des partis des discussions officielles et mettre publiquement leur volonté européenne à l’épreuve de l’unité démocratique, les fédéralistes n’ont que le canal des grands journaux. Or, les fédéralistes ne participent pas aux élections nationales. En effet, seul leur engagement dans la lutte pour la fondation du pouvoir européen, à l’exclusion de toute participation aux élections nationales, leur permet d’exercer une influence sur les forces politiques et sociales, sans se laisser entrainer dans le jeu politique national, ce qui d’ailleurs rendrait illusoire la supranationalité de leur mouvement. Absents des élections nationales et de leur préparation qui font l’essentiel de l’information politique, ils n’ont accès par conséquent ni à la radio, ni à la télévision.
 
3.2. L’achat d’une page dans Le Monde — toute la classe politique française lit ce journal — représente un objectif accessible non seulement pour demander publiquement des discussions officielles aux directions des partis, mais aussi pour obtenir d’autres résultats : informer l’opinion française des premiers développements électoraux européens à l’extérieur, lancer le mot d’ordre de la reconnaissance du droit de vote européen et mobiliser directement les citoyens. Cet objectif revêt donc un caractère instrumental.
 
3.3. Une page du Monde vaut 17.000 F. Pour réunir cette somme, les fédéralistes ouvriront une souscription permanente. En signant une fiche, les citoyens approuveront l’action fédéraliste et s’associeront à elle. La première page publiée portera à la connaissance du public le texte que les souscripteurs devront approuver. Le nombre des souscripteurs, lui aussi, sera rendu public. Chaque page publiée sera l’occasion de montrer que les fédéralistes représentent une force, petite au départ, mais croissante. Chaque page publiée est elle-même le moyen d’élargir la souscription en invitant ses lecteurs à effectuer des versements au compte courant postal de la Commission française du mouvement. Enfin les fédéralistes pourront demander aux autres journaux la publication gratuite de la page.
 
3.4. L’action doit s’autofinancer.
Si le prix de la fiche (et du tract invitant à la signer) n’excède pas 30 centimes, 10.000 versements de 2 francs suffisent pour acheter la page. Ce chiffre paraît bien modeste quand on le compare aux 500.000 signatures de la « Petizione » de 1950, aux centaines de milliers de suffrages du C.P.E., aux 100.000 adhésions recueillies après deux années seulement de Recensement, aux 80.000 signatures authentifiées de l’initiative populaire. Compte tenu des versements supérieurs à 2 F., il est probable que l’achat de la page pourra être décidé avant les 10.000 versements.
 
4. La campagne populaire.
 
4.1. Ses différentes formes.
La campagne pourra être organisée sous une forme publique en plein air (c’est la forme la plus efficace, parce qu’elle met au contact de toute la ville) ; sous une forme semi-publique (sur les lieux de travail, dans les universités, les grandes écoles, dans les syndicats etc.) et sous une forme privée par des individus isolés.
 
4.2. Ses objectifs subsidiaires.
4.2.1. Son objectif subsidiaire externe. Il consiste en la création d’un lien organique entre les fédéralistes, la population de la ville et les organisations locales des partis et syndicats. En d’autres termes, la campagne populaire procure aux fédéralistes (à l’appui de l’objectif instrumental de l’action que constitue l’achat d’une page dans Le Monde) une audience à exploiter à des fins politiques.
4.2.1.1. Par des prises de position qui seront finalement écoutées et publiées par la presse à titre d’information. Quand des problèmes politiques, économiques ou sociaux majeurs se posent, qui ne peuvent être résolus dans le cadre des Etats-nationaux et de la confédération, ceux qui cherchent une véritable solution sont des alliés. Mais, tant qu’il n’y aura pas de pouvoir européen, nous pouvons et devons nous libérer de nos alliés, en prenant position pour ce qui nous distingue d’eux (le pouvoir européen), toutes les fois qu’ils se contentent de solutions imparfaites et précaires dans le cadre national.
4.2.1.2. Par la création et le renforcement de Comités d’action pour l’élection directe du Parlement européen. Les fédéralistes constitueront un premier noyau de personnalités disposées à s’engager dans cette action et à lancer les premiers appels : la tâche de ce premier noyau de personnalités sera d’inviter les intellectuels, les écrivains, les artistes, les savants, les chercheurs, les universitaires à se joindre à lui et à donner leur appui à la campagne populaire en figurant dans les comités d’action ; quand les fédéralistes lanceront aux partis leur premier appel public, les comités auront acquis déjà, par le nombre et la qualité de leurs membres, un poids moral et politique tel que la presse, la radio et la télévision devront nécessairement s’en faire l’écho.
4.2.2. Ses objectifs subsidiaires internes. Ils consistent dans la possibilité d’animer les régions et les sections, de financer leur action, de créer de nouveaux groupes, d’augmenter, partant, le nombre des membres, de gagner des jeunes.
4.2.3. Le nombre des souscripteurs n’est pas seulement une fin en soi pour réunir la somme nécessaire à l’achat d’une page dans Le Monde, c’est surtout un moyen pour atteindre ces objectifs subsidiaires.
 
4.3. Les résultats à atteindre dans les actions publiques.
4.3.1. Dans les grandes villes, de plus d’un million d’habitants, les fédéralistes reprendront l’action tous les deux mois (mars, mai, juillet, septembre, novembre ou avril, juin, octobre) et recueilleront chaque fois plusieurs milliers de francs. Il leur sera possible de recruter de nouveaux militants, de nouveaux adhérents, de compter parmi les souscripteurs des élus locaux et des syndicalistes, d’élargir les comités d’action, d’intéresser l’opinion publique tout en obtenant un résultat de propagande qu’ils n’obtiendraient pas en dépensant des centaines de milliers de francs.
4.3.2. Dans les petites villes, où existe déjà une section, une action politique bien organisée pourra devenir l’événement majeur du mois politique local. Après l’action, les responsables locaux des partis et des syndicats ne pourront plus négliger les fédéralistes et, pratiquement, il sera facile d’obtenir qu’ils demandent à être informés et à participer, au moins indirectement, au développement de la souscription.
4.3.3. Les fédéralistes profiteront des mois de décembre, janvier, février pour organiser des actions semi-publiques dans les universités, les syndicats, etc.
 
4.4. Déroulement des actions publiques.
Il sera centré sur des manifestations précises d’opposition, dénonçant les responsabilités des partis. A cette fin sont nécessaires :
4.4.1. Pour donner à la presse et à l’opinion publique éclairée le sens de notre engagement et de notre opposition et le ton politique général de la campagne, une table ronde internationale à caractère préparatoire, sur un sujet précis. Exemples : « la responsabilité des partis dans la crise de la démocratie » ; « le rôle du mouvement ouvrier dans la construction européenne » ; « à quoi sert la conscription militaire obligatoire ? ».
4.4.2. Pour donner une ampleur suffisante à l’action publique, une grande concentration de militants des régions et des pays voisins.
4.4.3. Pour matérialiser l’opposition dans une action concrète, à laquelle tous les souscripteurs puissent périodiquement participer avec le sentiment que leur présence contribue directement à sa réussite, des assemblées de citoyens sur des revendications précises.
Les fédéralistes pourront ainsi mesurer leur influence, et la faire apprécier à leurs adversaires, augmenter progressivement le nombre des adhérents de leur organisation, jusqu’à atteindre ce seuil au delà duquel la mobilisation directe des citoyens serait possible, le point où de grandes manifestations pourraient être organisées simultanément dans plusieurs villes, avec une participation de militants suffisamment nombreux et décidés.
 
4.5. Considérations sur les périodes électorales.
Quand le pouvoir est stable, la définition de sa politique donne lieu à une série de choix. Mais il arrive que la classe politique ne puisse pas choisir, alors le pouvoir chancelle. Le choix passe au simple citoyen. Dans ce cas-là, la question devient extrêmement simple : il s’agit de choisir entre les termes d’une alternative. Lorsqu’un gouvernement chancelle et qu’un autre est en passe de se former, le corps social s’éveille de sa léthargie politique habituelle. D’une part, tout le monde s’intéresse à la politique, et il se crée un nombre considérable de canaux d’information et de communication spontanées ; d’autre part, le choix est élémentaire. Les régimes démocratiques ont institutionnalisé ces cycles politiques au moyen des élections.
En période électorale, les citoyens font un effort de compréhension et de participation. En temps normal, l’intérêt qu’ils portent à la politique n’est que superficiel et la connaissance qu’ils en ont, extrêmement imprécise.
 
4.6. Deux tiers des Français croient que le régime favorise le monde des affaires. La France vient de traverser six mois de scandale permanent : sociétés frauduleuses, transactions immobilières douteuses, banques impliquées dans des affaires d’évasion fiscale, corruption de l’agence officielle de publicité, corruption de producteurs à l’O.R.T.F., drogue, chantage… Dans ces scandales, on voit apparaître les amis et les relations des hommes au pouvoir, courtisans, clients, intermédiaires… La décadence des valeurs civiques n’est pas un vain mot. Les partis de la coalition gouvernementale sont à couteaux tirés, à dix-sept mois seulement des élections. Et pourtant, il est fort probable qu’une fois de plus l’U.D.R. sortira victorieuse de ces législatives : soixante pour cent des Français sont satisfaits de M. Pompidou et de son premier ministre, alors que les prix montent et que le chômage augmente.
Mais où est l’autre terme de l’alternative ? A gauche, l’unité n’est pas en chemin. Le parti communiste et le parti socialiste se chamaillent activement au sujet de leurs programmes respectifs, pour un gouvernement de gauche. Celui des communistes est déjà paru. Les socialistes ont publié le mois dernier un avant-projet du leur ; un congrès du parti se prononcera définitivement en mars, notamment sur l’autogestion, l’Alliance atlantique, les armes nucléaires et l’intégration européenne. Certains choix risquent de réduire les chances déjà faibles de voir les deux partis travailler ensemble pendant la campagne électorale, a fortiori dans un éventuel gouvernement de gauche après les élections. D’ailleurs, personne ne prend cette hypothèse très au sérieux : le leader socialiste, M. François Mitterrand, admet que le meilleur résultat que puisse espérer la gauche est de réduire l’énorme majorité que la coalition au pouvoir a gagné dans la panique des élections de 1968.
Pour l’électeur moyen, la gauche est l’opposition, condamnée à l’être par la défiance dans laquelle ledit électeur tient le parti communiste. Quant aux radicaux de M. Servan-Schreiber, s’étant liés avec des groupes plus à leur droite, ils n’ont rien de commun avec les communistes, bien qu’ils n’aient pas coupé les ponts avec M. Mitterrand. En fait, les radicaux et leurs alliés centristes manquent de crédibilité.
Enfin, même si un nombre suffisant de Français surmontaient leur aversion des communistes pour porter une coalition de gauche au pouvoir, ce qu’en théorie beaucoup jugent nécessaire pour le pays, l’élection ouvrirait aussitôt une crise politique entre le président et la majorité parlementaire. Or, il ne semble que les Français aient encore le goût des crises.
 
4.7. Opportunité du lancement de la campagne avant les élections législatives.
Les prochaines législatives n’échapperont pas à la règle et développeront pendant quelques mois la réceptivité du corps électoral. Le moment est donc bien choisi pour poser avec force la question des élections directes, d’autant plus que l’alternative — si tant est qu’elle existe — n’est pas claire. Il s’agira d’opposer aux obscures alternatives nationales l’alternative historique : démocratie européenne ou mort de l’Europe.
 
4.8. Exploitation du résultat instrumental de l’action.
4.8.1. Dans la presse, les fédéralistes demanderont à d’autres journaux de publier la page gratuitement ou d’informer leurs lecteurs de sa parution dans Le Monde et de son contenu. Des journaux sans paiement, cela voudrait dire exploitation de forces disponibles.
4.8.2. A la base.
4.8.2.1. Les fédéralistes demanderont à rencontrer les responsables des organisations locales des partis et des syndicats. Ces discussions peuvent avoir des répercussions dans les directions nationales desdites organisations.
4.8.2.2. En période électorale les militants fédéralistes doivent exiger publiquement que les candidats prennent position sur les élections directes. A cette fin, les militants assisteront aux réunions électorales avec des drapeaux, des pancartes et des banderoles.
4.8.2.3. Les militants pourront aussi faire le siège des permanences des candidats ou des élus en défaut de réponse et feront connaître par voie de tract ce silence, cette opposition tacite à la reconnaissance du droit de vote européen.
4.8.3. Au sommet, des lettres aux candidats, aux élus, aux ministres chargés d’affaires européennes, au Président, ou des télégrammes aux secrétaires des partis à l’ouverture officielle de la campagne électorale sont un moyen de rappeler à la classe politique la revendication fédéraliste.
 
N.B. — Les auteurs de ce document, se sont efforcés de faire la somme des expériences les plus probantes du fédéralisme militant, afin de définir une action pour l’organisation française dans la ligne stratégique européenne du Mouvement, compte tenu de la spécificité du cas français (situation de l’organisation et situation politique intérieure).
Cependant, ils rappellent que l’action pour les élections directes n’a pris un caractère militant qu’en Italie, à la faveur du droit d’initiative populaire, que partout ailleurs elle n’est encore qu’une action de sommet et qu’elle tend à le devenir même en Italie.
Or, les fédéralistes italiens ne pourront par se passer longtemps d’une action populaire. C’est pour la base de l’organisation une question de vie ou de mort comme nous l’avons montré (Cf. 1.1.5.). Dès lors l’efficacité commande. Si l’Italie redevient disponible pour une action-cadre du même type que celle que nous avons conçue, il en faut une seule, la même dans toute l’Europe, l’interprétation nationale se limitant à l’exploitation au sommet de la campagne populaire. Cette dernière pourrait même franchir le pas et rouler par exemple sur les grandes lignes d’une constitution européenne, l’élection directe du parlement européen et d’autres objectifs plus immédiats continuant à faire l’objet de campagnes mineures. Dans ce cas le congrès de Nancy doit nous fournir l’occasion de nouer avec nos amis d’Italie et d’ailleurs les contacts nécessaires à la définition rapide d’une action-cadre supranationale.
Les instruments de l’action définie par ce document étant largement indépendants du thème de la campagne, le présent document constituerait dans cette perspective une utile contribution des Français à la préparation d’une campagne de plus longue haleine.


* Il s’agit d’un document préparé par les membres lyonnais du bureau de la Commission française, Bernard Barthalay, secrétaire général, Jean-Luc Prével, secrétaire adjoint et Bertrand Saint-Gal de Pons et publié le 25 février 1972.

 

 

 

 

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