LE FEDERALISTE

revue de politique

Espérer le maintien de l’harmonie entre plusieurs Etats indépendants et voisins, ce serait perdre de vue le cours uniforme des événements humains et aller contre l’experience des siécles.

Hamilton, The Federalist

 

VIII année, 1966, Numéro 1, Page 37

 

 

L’Organisation des Nations Unies
 
 
PRELIMINAIRES
Avant d’analyser la structure et la nature de l’Organisation des Nations Unies, il est nécessaire de faire deux brèves remarques préliminaires de méthode. En premier lieu, il faut éclairer les jugements de valeur sur lesquels peut reposer un examen de ce genre. D’une part, on peut examiner l’O.N.U. du point de vue de celui qui croit aux valeurs de la paix et de l’unification du genre humain. D’autre part, on peut l’examiner du point de vue de celui qui estime que la division et la guerre sont une donnée permanente et bienfaisante de l’histoire. Evidemment, selon le point de vue que l’on adopte, les termes de l’analyse et de la critique de l’Organisation varieront. L’analyse et la critique de celui qui croit à la valeur de la paix tendront à mettre en relief les défauts de l’Organisation qui l’empêchent d’atteindre pleinement ses buts, l’analyse et la critique de celui qui croit à l’action salutaire de la guerre tendront à détruire aussi ce qui existe déjà, les résultats déjà obtenus. Naturellement l’analyse qui suit a été conduite dans la première des deux perspectives.
En second lieu, une fois éclairés les jugements de valeur de l’étude, il faut préciser ses limites. En effet, l’O.N.U. peut être examinée non seulement sous l’angle de son fonctionnement, pour mettre en lumière son rôle actuel, ses mérites et ses limites, mais aussi sous l’angle historique et sous l’angle idéal pour mettre en lumière d’un côté la situation historico-sociale qui en constitue le fondement et, de l’autre, sa relation avec la condition humaine, avec les motivations effectives du comportement des individus. Notre analyse se limitera pour le moment au premier de ces trois aspects.
 
LA S.D.N. ET SON ECHEC
L’Organisation des Nations Unies (O.N.U.) est l’héritière d’un organisme analogue, la Société des Nations, dont la création avait été décidée le 28 avril 1919. Comme on sait, l’expérience de la S.D.N. fut un échec complet. Privée d’un caractère vraiment universel (elle naquit sans la participation des Etats-Unis et fut abandonnée en 1939 par les pays de l’Axe et par l’U.R.S.S., exclue), elle ne put rien faire pour prévenir la seconde guerre mondiale et pour empêcher l’agression germano-japonaise.
Diverses raisons furent et sont encore invoquées pour expliquer cet échec. D’aucuns font ressortir que l’absence des Etats-Unis avait irréparablement miné le prestige de l’organisation dès sa naissance et l’avait privée de l’apport de la puissance qui avait les traditions pacifistes les plus enracinées. D’autres mettent en relief que le Pacte de la S.D.N., plaçant tous les Etats membres sur le même plan, n’exprimait pas le vrai caractère de l’équilibre international et empêchait ainsi l’organisation de fonctionner. D’autres font enfin remarquer (et ce diagnostic a été établi surtout par la littérature fédéraliste avant et après la seconde guerre mondiale) que la faillite de la S.D.N. était la conséquence inévitable de sa nature de conférence internationale permanente d’Etats qui maintenaient leur souveraineté absolue, ce qui la rendait nécessairement incapable, ne disposant pas d’un pouvoir autonome, d’influer d’aucune façon sur le comportement des Etats eux-mêmes et d’imposer la paix là où l’existence d’un conflit d’intérêts insoluble par la voie diplomatique poussait à la guerre.
 
ORIGINE DE L’O.N.U.
La Charte des Nations Unies, lentement élaborée avant la fin des hostilités, par les puissances alliées contre l’Axe, avec la signature par les Alliés de la Charte de l’Atlantique établie le 14 août 1941 par le Royaume-Uni et les Etats-Unis, la Déclaration des Nations Unies signée le 1er janvier 1942 par les représentants de vingt-six nations alliées, la déclaration anglo-américano-soviétique de Moscou du 30 octobre 1943, la conférence de Dumbarton-Oaks qui mit en présence d’août à octobre 1944 des représentants des Etats-Unis, de l’U.R.S.S., du Royaume-Uni et de la Chine et la conférence de Yalta de février 1945, fut finalement adoptée en sa forme définitive à la conférence de San Francisco (avril-juin 1945) par les représentants des cinquante pays en guerre contre l’Axe. L’Organisation, dont le siège fut fixé à New York, commença à fonctionner effectivement au début de 1946.
 
BUTS
Les buts de l’Organisation des Nations Unies sont définis comme suit par le préambule de la Charte : « …préserver les générations futures du fléau de la guerre…, créer les conditions nécessaires au maintien de la justice et du respect des obligations nées des traités…, favoriser le progrès social et instaurer de meilleures conditions de vie dans une liberté plus grande,… ». Cet exposé des buts est complété par la Déclaration universelle des Droits de l’Homme, adoptée par l’Assemblée générale (les pays du bloc communiste ne l’ont pas acceptée) le 10 décembre 1948. Elle proclame le droit de tous les hommes à la vie, à la liberté, à la sûreté, à la nationalité, à la propriété, à la liberté de pensée, de conscience, de réunion, le droit au travail, au repos, à la sécurité sociale, à l’éducation.
Pour atteindre ces fins, la Charte autorise l’Organisation à intervenir directement avec ses propres forces armées, dont les contingents sont fournis par les Etats membres, chaque fois qu’un ou plusieurs Etats, membres ou non de l’Organisation, recourent à la violence pour régler les différends internationaux qui constituent une menace contre la paix ou la mettent en péril d’une façon ou d’une autre. Ladite Charte affirme en outre la nécessité pour l’Organisation d’agir dans le domaine économique et social par l’intermédiaire du Conseil prévu à cette fin et des institutions spécialisées qui lui sont reliées, avec les capitaux fournis par les Etats membres.
 
ORGANES
L’Assemblée générale comprend les représentants de tous les Etats membres qui se réunissent en session ordinaire une fois l’an et en session extraordinaire sur l’initiative du Conseil de Sécurité ou de la majorité desdits membres de l’Assemblée. L’Assemblée générale peut discuter toutes questions rentrant dans le cadre de la Charte. Elle peut formuler des recommandations sur les questions se rapportant aux fonctions attribuées au Conseil de Sécurité (dans certains cas), au Conseil économique et social et au Conseil de Tutelle. De plus, elle approuve le budget et, conjointement avec le Conseil de Sécurité, statue sur l’admission de nouveaux membres et décide de la composition des autres organes de l’Organisation. Elle prend ses délibérations, à la majorité simple sur les questions de procédure et à la majorité des deux tiers sur les questions importantes.
Le Conseil de Sécurité est formé de onze membres ; cinq sont permanents (Etats-Unis, Union Soviétique, Royaume-Uni, France et Chine nationaliste) et six sont désignés pour deux ans par l’Assemblée générale. Le Conseil décide à une majorité de 7 voix, parmi lesquelles doivent être comprises les voix de tous les membres permanents. Chaque membre permanent a donc un droit de veto, sur toutes les questions soumises à la délibération dudit Conseil. Le Conseil de Sécurité, qui doit pouvoir exercer ses fonctions à tout moment et est, à cet effet, formé de représentants permanents, porte « la responsabilité principale du maintien de la paix » et peut intervenir chaque fois qu’elle semble menacée, tant par des recommandations qu’en recourant à la force.
Le Conseil économique et social, formé de 18 membres élus pour trois ans par l’Assemblée générale, étend sa compétence à toutes les questions de coopération économique et sociale, et coordonne l’activité de toutes les institutions spécialisées en rapport avec les Nations Unies.
Le Conseil de Tutelle comprend les membres du Conseil de Sécurité, les représentants des Etats qui administrent des territoires sous tutelle et un nombre égal de membres élus par l’Assemblée générale. Le Conseil de Tutelle exerce une fonction de contrôle de l’administration des territoires susdits par les Etats à qui elle a été confiée.
La Cour internationale de Justice, qui siège à La Haye, est l’organe judiciaire de l’O.N.U. Elle se compose de quinze membres élus pour neuf ans par l’Assemblée générale et le Conseil de Sécurité. Sa jurisprudence prend la forme d’avis consultatifs délivrés aux autres organes des Nations Unies et d’arrêts sur les différends d’ordre juridique que les Etats décident de lui soumettre.
Le Secrétariat assure le fonctionnement administratif de l’Organisation. Quoi qu’il en soit le Secrétaire général a joué, dans la pratique, un rôle politique de premier plan.
Enfin, les institutions spécialisées, reliées à l’D.N.U. par, l’intermédiaire du Conseil économique et social, sont les suivantes : l’Union postale universelle, l’Organisation internationale du Travail (O.I.T.), l’Union internationale des Télécommunications, l’Organisation pour l’Alimentation et l’Agriculture (F.A.O.), le Fonds monétaire international (F.M.I.), la Banque internationale pour la Reconstruction et le Développement (B.I.R.D.), l’Organisation des Nations Unies pour l’Education, la Science et la Culture (U.N.E.S.C.O.), l’Organisation de l’Aviation civile internationale, l’Organisation mondiale de la Santé (O.M.S.), l’Organisation météorologique mondiale, l’Organisation maritime consultative intergouvernementale et l’Agence internationale de l’Energie atomique.
 
LIMITES DE L’ACTION DES NATIONS UNIES
L’O.N.U., dans sa composition et dans sa structure, a éliminé deux des inconvénients qui, comme nous l’avons vu, avaient été indiqués comme causes de la faillite de la Société des Nations. En effet, les Etats-Unis ont été parmi les fondateurs de l’Organisation et en ont été les promoteurs les plus convaincus. A part l’absence de la Chine communiste, l’Organisation des Nations Unies a effectivement un caractère universel.
 En outre la structure de l’O.N.U. reflète beaucoup plus fidèlement que la Société des Nations le caractère de l’équilibre mondial du second après-guerre. En effet le droit de veto qui revient au sein du Conseil de Sécurité aux cinq Grands (bien que ce soit faire preuve de peu de réalisme que d’attribuer cette qualité à la Chine nationaliste) empêche qu’une délibération de quelque importance soit prise contre la volonté d’une grande puissance en sorte que cette dernière serait dans la nécessité de refuser de s’y soumettre et, par conséquent, d’abandonner l’Organisation ou d’en diminuer gravement le prestige en y restant. (D’ailleurs, cette caractéristique de la structure de l’O.N.U. a été sensiblement affaiblie par l’adoption le 3 novembre 1950 d’une résolution qui autorisait l’Assemblée générale, dans le cas où, la paix étant menacée, le Conseil de Sécurité serait paralysé par le droit de veto, à se substituer au Conseil et à faire des recommandations aux Etats membres quant aux mesures à prendre, y compris l’emploi de la force armée).
Malgré les améliorations que représentent la composition et la structure de l’O.N.U. par rapport à celles de la S.D.N., le bilan de son activité, de sa fondation à ce jour, est négatif eu égard à ses fins dernières, même si l’on ne peut nier que l’O.N.U. ait favorisé les contacts diplomatiques et encouragé les solutions négociées plus efficacement que ne l’avait fait la S.D.N. En effet :
1) L’action du Conseil de Sécurité a été jusqu’à ce jour presque complètement paralysée par la rivalité entre les Etats-Unis et l’U.R.S.S. Chacune des deux superpuissances a systématiquement exercé son droit de veto pour bloquer toute initiative de l’autre.
2) Les recommandations de l’Assemblée générale et les décisions du Conseil de Sécurité — dans les rares cas où ces dernières ont pu être prises — n’ont souvent pas été observées par les Etats auxquels elles s’adressaient ; comme exemples, on peut citer : le plan de partition de la Palestine recommandé par l’Assemblée générale le 27 novembre 1947 et qui eut pour effet de précipiter la guerre ; l’internationalisation de Jérusalem, décidée par l’Assemblée générale le 9 décembre 1949 et refusée tant par les Arabes que par les Juifs ; la décision du Conseil de Sécurité de demander à l’Egypte, qui n’obtempera point, de permettre aux navires israéliens d’emprunter le canal de Suez (1er septembre 1951) ; la condamnation par l’Assemblée en 1956 de l’intervention soviétique en Hongrie, restée sans effet ; les décisions du Conseil de Sécurité relatives au Cachemire inobservées par l’Inde qui, en 1957, annexa unilatéralement le territoire.
3) Même lorsque l’O.N.U. a pu disposer, pour faire valoir ses décisions visant à étouffer des foyers de désordre, d’une « force de police » internationale, composée de contingents fournis par les Etats membres de l’Organisation, son action a été d’une efficacité réduite, à cause du manque de consistance des forces armées que les pays en question étaient disposés à fournir (comme dans le cas du Congo et dans celui de Chypre).
4) Dans les rares cas où l’action de l’O.N.U. a eu une certaine efficacité, cela dépendait exclusivement de ce que, dans un cas particulier, une convergence d’intérêts exceptionnelle s’est produite entre les Etats-Unis et l’U.R.S.S., comme au cours de l’épisode de l’intervention franco-britannique à Suez, en 1957, ou de ce que, les intérêts vitaux d’une des deux grandes puissances étant directement en jeu, l’étiquette de l’O.N.U. a seulement servi de couverture à une intervention qui aurait eu lieu de toute façon (guerre de Corée).
5) Les initiatives prises pour le désarmement sous l’égide de l’O.N.U., malgré les innombrables conférences convoquées à cet effet, n’ont donné aucun résultat appréciable.
6) La politique de l’O.N.U. en matière d’assistance économique aux pays sous-développés n’a jamais dépassé de modestes limites et a été d’une efficacité négligeable, puisque les pays avancés membres de l’Organisation préfèrent leur venir en aide en leur propre nom, de façon à pouvoir en recevoir une contrepartie en termes d’influence et de prestige, plutôt que de pourvoir l’O.N.U. en capitaux destinés au même usage.
 
NATURE DE L’O.N.U.
Ce bilan permet de constater sans hésitation que la nature de l’O.N.U. n’est pas essentiellement différente de celle de la Société des Nations et que la critique que les fédéralistes adressaient à cette dernière atteignait vraiment les causes de son échec et peut s’appliquer, dans les mêmes termes, à l’Organisation des Nations Unies.
Indubitablement l’O.N.U. est un instrument diplomatique utile dans les contacts multilatéraux et constitue un point de mire sur lequel se dirige l’attention de l’opinion publique mondiale et par lequel l’opinion publique mondiale peut, dans une certaine mesure, faire sentir son poids. Mais elle n’a introduit aucune innovation eu égard au vice de fond de la Société des Nations. Comme la S.D.N., elle n’a pas de pouvoir propre, mais regroupe des Etats qui maintiennent intacte leur souveraineté absolue. Elle ne modifie donc en rien la structure des rapports internationaux, mais ne fait qu’en refléter la nature et les vicissitudes, favorisant les solutions pacifiques, quand l’équilibre mondial pousse dans cette direction, mais n’empêchant pas la guerre dans le cas contraire. Indépendamment de la signification objective qui peut lui être attribuée dans une perspective historique, comme préfiguration d’un futur gouvernement mondial, elle ne peut donc remplir aujourd’hui que la fonction de couverture internationale des politiques nationales de puissance des Etats qui en font partie.
Pour la paix perpétuelle, il faut un gouvernement mondial de type fédéral, c’est-à-dire la transformation des actuels rapports de force entre les Etats en véritables rapports de droit. Celui qui dissimule cette vérité, et parle de l’O.N.U. comme si elle était déjà un moyen convenable d’obtenir la paix, ne rend pas service à la paix mais à la guerre, parce qu’il travaille objectivement au maintien du statu quo et empêche les hommes de prendre conscience du but qu’il faut poursuivre.

 

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